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L'accord Europe-Turquie sur les migrants: réalisme ou reniement des valeurs ?

L’Union européenne souhaite assécher le flux de migrants arrivant sur le continent: 145 000 depuis début 2016, même si la tendance est à la baisse par rapport à la fin de 2015. Certaines îles grecques touchent presque les côtes turques, la Grèce est donc un des points d'entrée principaux des migrants en Europe. De plus la fermeture des frontières par ses voisins des Balkans bloque en Grèce des milliers de migrants dont l'objectif est l'Allemagne, l'Autriche ou la Suède, réputés accueillants avec un marché du travail pouvant offrir des emplois. Jusqu’ici, l'UE demandait à la Turquie de mieux contrôler ses frontières, de bloquer les passeurs et de "réadmettre" les migrants économiques refoulés. La nouveauté de l'accord conclu le 18 mars est que la Turquie reprendra tous les migrants "irréguliers" qui débarqueraient en Grèce ou seraient interceptés dans ses eaux territoriales. Y compris les demandeurs d’asile syriens, supposés trouver en Turquie la protection juridique. Pour tout Syrien renvoyé en Turquie, l’Europe s’engage à accueillir un autre Syrien en provenance de Turquie.


En contrepartie la Turquie souhaitait obtenir une libéralisation rapide des visas de court séjour dans l'UE et l’ouverture de 5 nouveaux chapitres dans le long processus d’adhésion à l’UE, en cours depuis 2005 (15 chapitres sur 35 ont été ouverts et un seul a été clos). Elle n'a obtenu qu'en partie satisfaction.


Par cet accord, l'UE a-t-elle fait preuve de réalisme devant un afflux excessif de migrants ou a-t-elle foulé aux pieds certaines de ses valeurs fondamentales pour satisfaire une partie de ses citoyens, partisans d'une Europe fermée sur elle-même? A-t-elle fermé les yeux sur l'autoritarisme de plus en plus visible des dirigeants turcs? Pourquoi cet accord prend-il effet immédiatement, alors que le Parlement européen semble y être hostile... mais n'a qu'un avis consultatif en la matière?

Chacun répondra suivant sa sensibilité. Le but de ce qui suit est de vous éclairer sur le contenu de l'accord.


Pour empêcher un afflux massif dans les prochaines semaines, les Européens ont décidé que le nouveau dispositif entrerait en vigueur dès dimanche 20 mars: tous les migrants débarqués dans les îles grecques à partir du 20 mars pourront être renvoyés rapidement vers la Turquie. En échange les Européens accepteront d’accueillir des réfugiés syriens arrivés en Turquie avant cette date, selon la règle "un pour un": pour chaque Syrien ramené en Turquie, un autre Syrien, n’ayant pas tenté la traversée, pourra partir vers l’Europe. Les Européens se sont engagés, dans un premier temps, à accueillir un maximum de 72 000 demandeurs d’asile. Ils veulent envoyer un signal clair aux migrants comme aux passeurs: "Inutile de tenter l’aventure vers l’Europe: les routes sont coupées et les candidats seront systématiquement refoulés".


Les Européens espèrent avoir bâti un accord évitant les recours juridiques: tous les migrants auront droit à un traitement individualisé, ils pourront demander l’asile en Grèce, le texte entérine le principe de non refoulement, et rejette toute idée d’expulsion collective. Cependant l’objectif est bien que la quasi-totalité des populations arrivées en Grèce de manière illégale soient renvoyées en Turquie. Pour cela, Athènes va devoir reconnaître à la Turquie le statut de "pays tiers sûr": ainsi des migrants pourront y être expulsés puisqu’ils pourront normalement y recevoir la protection prévues par les conventions internationales. La Turquie met en avant qu'elle "accueille 300 000 migrants dans des camps depuis 5 ans, sans critique des observateurs".


Tout migrant entrant en Grèce à partir du 20 mars sera enregistré selon le nouveau mécanisme. Angela Merkel a précisé que "les premiers retours en Turquie devront commencer le 4 avril". Date peut-être optimiste vu les moyens à mobiliser pour traiter les demandes d’asile et gérer les flux de migrants.


Les 27 partenaires de la Grèce se sont engagés à lui apporter un soutien rapide en ressources humaines. Les juges statuant sur les demandes d’asile doivent obligatoirement être grecs, mais pas les personnels gérant les centres d’accueil ("hot spots"), les experts en droit d’asile, les traducteurs ou encore les garde-frontières. Plus de 2 000 personnes seront détachées par les Etats européens. La France s’engage à mettre à disposition 200 garde-frontières supplémentaires, et jusqu’à 100 spécialistes du droit d’asile. L’UE prendra également en charge le coût du renvoi des migrants en Turquie.

Pour conclure cet accord, il a fallu faire quelques concessions à la Turquie.

En plus des 3 milliards d’€ d’aides financières d'ici 2018 déjà actés fin 2015 pour l'aide à l'accueil des migrants, 3 milliards d’€ supplémentaires ont été évoqués.

En revanche, les Européens sont restés fermes sur certains points. En échange de son aide sur la question migratoire, Ankara réclamait l’ouverture de cinq nouveaux chapitres des négociations pour son adhésion à l’UE. Chypre s'y oppose tant que la Turquie ne reconnaît pas le gouvernement chypriote de la partie sud de l’île (protocole dit d’Ankara). Les 28 n’ont pas plié, et n'ont consenti à débuter les discussions que sur le chapitre 33 qui traite des questions budgétaires, très technique et peu sensible politiquement. Le président français a déclaré: "Il n’y a de changement ni dans la position de la France ni dans celle de l’Europe: la négociation ne veut pas dire adhésion et ne préjuge en rien du résultat".


Les Européens n’ont aussi donné que partiellement satisfaction à la Turquie sur la question des visas. Ankara réclamait une accélération pour permettre aux Turcs de venir sans visa en Europe pour un court séjour (3 mois maximum). Les 28 ont accepté d’avancer le calendrier d’octobre à juin, mais seulement si les autorités turques remplissent les 72 critères exigés. Le délai est court pour cela...

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