QUE FAIT L’UNION EUROPEENNE CONTRE L’EVASION FISCALE ?
Il faut préalablement rétablir le sens des mots :
La fraude fiscale est illégale car elle consiste à soustraire à l’impôt des biens qui y sont normalement soumis ; ce qui est illégal dans un pays peut être légal dans un autre.
L’évasion fiscale revient à utiliser les failles de la loi pour éviter l’impôt ; elle n’est pas illégale (cela varie selon les législations des pays) même si elle est immorale.
L’optimisation fiscale consiste à utiliser les avantages fiscaux consentis par les gouvernements qui y trouvent leur compte. Elle est inéquitable car elle ne s’adresse qu’aux contribuables les plus importants mais parfaitement légale.
L’Etat français perdrait chaque année entre 60 et 80 milliards d’euros. Au niveau européen, selon la Commission européenne, ce sont des centaines de milliards qui échappent annuellement aux États, et au niveau international, on parle de milliers de milliards.
Depuis plusieurs années, les révélations se succèdent : Offshore Leaks (2013), Luxleaks (2014) Swissleaks (2015), Panama papers (2016). Les citoyens découvrent les multiples moyens s’offrant aux riches particuliers et aux multinationales pour échapper à l’impôt. Parmi les plus courantes :
L’ouvertures de comptes dans des pays pratiquant le secret bancaire ;
La création de sociétés « offshores », c’est-à-dire de sociétés enregistrées dans des paradis fiscaux et dont les actionnaires véritables n’apparaissent pas ;
La sous estimations des profits réalisés par des multinationales dans les pays ayant des taux d’imposition élevés en jouant sur les prix de transfert, c’est-à-dire l’estimation des flux de prestations et de marchandises entre filiales.
La fraude sur la TVA frappant les échanges intra-européens.
L’Organisation de coopération et de développement économiques (O.C.D.E.) a été longtemps plus en pointe sur ces sujets mais la Commission a enfin décidé de lutter plus particulièrement contre ces deux dernières fraudes.
Lutte contre l’optimisation fiscale des entreprises
La Commission a présenté de nouvelles règles obligeant les entreprises en activité en Europe qui gagnent plus de 750 millions d’euros dans le monde à publier leurs bénéfices, ainsi que les taxes qu’elles paient dans chacun des 28 États membres et dans les paradis fiscaux, dont la liste reste à établir.
«Aujourd’hui, en utilisant des arrangements fiscaux complexes, certaines multinationales parviennent à payer un tiers de ce que les entreprises qui n’opèrent que dans le pays en question déboursent », a regretté Jonathan Hill, le commissaire britannique.
L’évasion fiscale des entreprises coûte aux pays membres de l’UE entre 50 et 70 milliards d’euros d’impôts par an, selon la Commission.
Le système de déclarations fiscales (ou reporting) pays par pays devrait s’appliquer à 6 000 entreprises. Les données seraient consultables sur le site des sociétés et incluraient la nature des activités, le nombre d’employés, le chiffre d’affaires total, les bénéfices bruts, les taxes dues dans un pays, les taxes payées et les profits. Les données relatives aux recettes déclarées hors UE ne seront cependant publiées que pour les pays figurant dans la liste noire des paradis fiscaux.
Mais cette volonté ne semble pas convaincre tout le monde. Ainsi pour Tove Maria Ryding, du Réseau européen sur la dette et le développement (Eurodad) :
« Tant que la proposition ne concerne pas tous les pays, les multinationales auront pourront toujours choisir où cacher leur argent ».
Lutte contre les paradis fiscaux
L’Organisation de coopération et de développement économiques (O.C.D.E.) a retenu trois critères pour définir un paradis fiscal[]:
Des impôts insignifiants ou inexistants ;
L'absence de transparence sur le régime fiscal ;
L'absence d'échanges de renseignements fiscaux avec d'autres États ;
Les pays de l’Union européenne ne sont pas exemplaires même s’ils ne sont pas classés officiellement dans les paradis fiscaux :
Le Luxembourg s’est illustré par les fameux rescrits - tax ruling - qui permettent aux entreprises de négocier leur impôt avec le Grand-Duché.
La Belgique accueille les grandes fortunes françaises grâce à la faible imposition des plus-values et intérêts.
L’Autriche refuse l’échange automatique des informations fiscales avec ses partenaires ;Chypre abrite les fortunes russes ;
Le Royaume-Uni entretient des paradis fiscaux en son sein (La City), au large de ses côtes (Jersey, Guernesey, Man, Gibraltar) et dans ses marges (possessions d’Outre-mer dans les Antilles).
L’Irlande soumet les entreprises à un taux d’imposition dérisoire (12,5%).
Les Pays-Bas et leurs holdings si avantageuses que beaucoup de sociétés françaises sont en fait… néerlandaises !
La France entretient des mini paradis fiscaux en Polynésie et à Wallis et Futuna.
Sans oublier les pays non membres qui essayent maintenant de s’acheter une bonne conduite : Suisse, Andorre, Monaco, Liechtenstein….
La Commission est en train de rédiger sa liste noire des paradis fiscaux, qui devrait être prête d’ici six mois. Les règles proposées par la Commission sont fondées sur les lignes directrices sur l’érosion de la base d’imposition et transfert de bénéfices (BEPS) rédigées par O.C.D.E. Il est prévu le partage des données entre les pays mais non leur publication !
Lutte contre la fraude à la T.V.A.
La Commission a présenté un plan de lutte contre la fraude à la TVA ; elle préconise une unification des taux pratiqués par les différents Etats de l’Union et une collecte de la taxe dans le pays dans lequel les biens ou les prestations sont vendus. L’administration fiscale de ce pays reverserait le montant au fisc du pays d’origine. Pour le moment, la Commission n’a pas encore fait de proposition législative.
Le secret des affaires et le statut des lanceurs d’alertes.
Les révélations sur différents scandales n’auraient pas été possibles sans les lanceurs d’alertes, salariés ou prestataires qui divulguent des informations confidentielles sur
des pratiques répréhensibles de leur employeur ou client. Or, le Parlement européen vient d’adopter un texte sur le secret des affaires. Ce texte est indispensable pour protéger nos entreprises des contrefacteurs et copieurs d’innovations mais semble ne pas suffisamment prendre en compte la protection de ces lanceurs d’alerte contre les représailles juridiques de leur employeur. Un texte spécifique pourrait être prochainement élaboré.
En résumé, la lutte contre la fraude fiscale a fait des progrès mais elle est semblable à la lutte entre le glaive et la cuirasse : tout renforcement de la cuirasse entraîne une amélioration du glaive ! Le fait nouveau réside dans les possibilités de révéler plus facilement à l’opinion publique les turpitudes des entreprises, des particuliers…. et des Etats.