Quelques idées « pour faire avancer l’Europe » empruntées à un économiste résolument pro-européen.
Charles Wyplosz, économiste de haute volée, auteur de nombreux ouvrages et articles, a été consultant auprès de la Commission européenne. Il publie régulièrement dans Telos[1], bulletin créé voici plusieurs années par Zaki Laïdi, des analyses parfaitement euro-constructives, mais qui n’en sont pas moins lucides et souvent critiques. Dans un article du 13 mai, Charles Wyplosz fait le constat un peu désabusé du faible écho que rencontre le projet d’Emmanuel Macron de « refonder l’Europe » (cela dit, les 27 autres États-membres l’ont suivi, parfois en traînant des pieds, sur les Consultations citoyennes, c’est déjà ça). Il propose du coup quatre chantiers, de son propre aveu « tristement techniques, voire technocratiques » qui devraient, au moins pour un temps, se substituer aux « avancées qui font rêver ».
Il y a d’abord, l’approfondissement de l’union bancaire. Celle-ci a permis de sortir de la crise de la zone euro, mais devrait à présent se poursuivre par la création de deux fonds communs, en lieu et place de l’autorité unique qui doit traiter les banques en perdition : un pour traiter les banques en crise et un autre pour garantir les dépôts bancaires, dont on se souvient (cf l’épisode chypriote de 2012/2013) qu’ils sont sanctuarisés jusqu’à 100 000 euros. Ceci pour éviter que les gouvernements des pays les plus vertueux ne rechignent à aider les pays dont le « nettoyage bancaire » n’a pas encore été mené assez loin (ces pays existent, l’Italie ne tardera sans doute pas à nous en donner la preuve, hélas !). On vous a prévenus : c’est très technique !
Le deuxième chantier est celui de la discipline budgétaire. Wyplosz constate que le Pacte de stabilité a été impuissant à assurer durablement l’équilibre budgétaire là où il était fortement menacé, situation, nous le savons, qui ne peut perdurer sans risque majeur. Les règles budgétaires devraient être revues (dans quel sens ? Wyplosz ne s’étend guère mais quand on le lit régulièrement on sait qu’il est partisan d’une certaine souplesse), ce à quoi les gouvernements n’ont guère envie de s’attaquer, anesthésiés qu’ils sont par deux phénomènes aussi éphémères l’un que l’autre : la reprise de la croissance qui rétablit mécaniquement (mais fragilement) les équilibres, et la faiblesse des taux d’intérêt (qui, elle aussi, n’a qu’un temps). Et Wyplosz de conclure : « le Pacte de Stabilité est une de ces vaches sacrées que Macron abhorre, il pourrait y consacrer ses talents réformateurs ».
Troisièmement, la crise migratoire. Si l’on veut préserver la mobilité des personnes dans l’Union, la solution ne peut pas être nationale. Macron a proposé un corps de garde-frontières européens, constate Wyplosz c’est un point positif. Mais tout reste à mettre en place « dans les détails », ne serait-ce que pour tirer les leçons de la crise italienne où, nous le savons désormais, le pire est bien arrivé : Cinq étoiles avait un moment imaginé de se coaliser avec le Parti démocrate, c’est finalement avec la Ligue du Nord qu’il prévoit de gouverner. Gageons qu’il n’y parviendra pas. En attendant, c’est bien cet entassement d’immigrants en Italie, si près des côtes africaines, sans grands efforts de la part des autres pays pour la soulager de ce fardeau, qui est une raison majeure de la situation actuelle.
Au-delà, quatrième chantier, les désaccords profonds entre l’Est et l’Ouest de l'UE, largement cristallisés autour de la crise migratoire, apportent des arguments supplémentaires à ceux qui plaident pour une Europe non pas à la carte mais bel et bien « à plusieurs vitesses ». Les pays du Centre et de l’Est (notamment le groupe dit « de Visegrad », les pays baltes et l’ensemble Roumanie-Bulgarie sont moins concernés, pour des raisons différentes) ne sont pas ravis à cette idée, mais il est sans doute possible de leur faire entendre raison, quitte à utiliser la menace budgétaire au moment où les négociations s’engagent sur le budget de l’Union 2021/2027. Macron pourrait « ouvrir ce chantier, en leur proposant d’autres accords partiels, par exemple en matière de défense, un domaine dans lequel l’Allemagne est très en retrait » (comprendre « sur lequel la France a des atouts en mains »). Et Wyplosz de conclure avec bon sens : « les combinaisons qui ne remettent pas en question le marché unique sont infinies ». Acceptons-en l’augure.
Il nous semblait important de partager avec vous, lecteurs, ces quelques réflexions émises par une grande plume qui, sans prétendre faire autorité, pose sur les circonvolutions de la politique européenne un regard à la fois décalé et pragmatique.
[1] Pour en savoir plus : https://www.telos-eu.com/fr/