" La République tchèque et l'avenir de l'Europe " avec S. E. Petr DRULAK, Ambassad
Le 31 janvier M. Petr DRULAK, Ambassadeur de la République tchèque en France depuis 2017 (et à Monaco, ainsi qu'auprès de l'UNESCO) est venu à Nîmes pour rencontrer la Ville de Nîmes et la direction du lycée Daudet, ainsi que les élèves tchèques de ce lycée.
A la suggestion de Mme Ludmila Penickova, qui enseigne le tchèque au lycée Daudet, encadre et aide matériellement les élèves tchèques, l'ambassadeur a accepté de venir faire une présentation-débat à la Maison de l'Europe de Nîmes, sur le thème "La République tchèque et l'avenir de l'Europe". De nombreux lycéens (qu'ils soient français ou tchèques) et quelques professeurs de Daudet ont participé à cet événement. De plus, les élèves tchèques ont amené de délicieux gâteaux tchèques qu'elles avaient préparés!
Klara Sabakova était là également: après son SVE de presque 1 an en 2017-2018 à la Maison de l'Europe, elle est maintenant à l'université de Strasbourg en Langues étrangères appliquées, et elle était revenue à Nîmes quelques jours pour voir des amis et nous voir.
Lors d'une intervention à Uzès le 15 septembre 2018, en ouverture d'une série d'évènements culturels consacrés à la République tchèque à l'initiative de la Médiathèque d'Uzès (et en particulier de M. Leprêtre, présent lui aussi le 31 janvier à la Maison de l'Europe) M. Petr Drulak avait déclaré, en réponse à une question sur les populismes: " Les populismes viennent de sentiments d'exclusion de fractions de la population, qui se sentent négligées. Les élites ne peuvent pas se contenter de dire "Vous devriez faire ceci ou cela... vous n'êtes pas assez formés pour prendre part aux décisions" ". La situation en France ces derniers mois donne un éclairage particulier à ce propos, qu'il a confirmé à la Maison de l'Europe!
Dans sa présentation l'ambassadeur a commencé par "les racines de l'Europe". Il voit comme racines:
- trois villes: Jérusalem (les valeurs du christianisme), Athènes (la philosophie, c'est-à-dire réfléchir pour agir, et la démocratie), Rome (les lois, la gouvernance avec rigueur)
-Quatre "tribus" principales: Grecs et Romains, Germaniques et Slaves (les Tchèques sont en majorité des slaves). Certes il y en a d'autres, comme les Celtes, les Scandinaves ou les Magyars, mais plus minoritaires.
Unité et diversité sont dans la devise de l'UE, qui cherche à respecter ces deux caractères en essayant d'en faire une synthèse. Diversité: des dérives mènent aux guerres. Unité: si elle est imposée elle mène aux dictatures.
Il estime que les différences entre le Nord de l'Europe (en grande partie protestant) et le Sud (en grande partie catholique) sont une frontière intérieure plus importante que la distinction traditionnelle Est/Ouest. Les modes de gouvernance sont différents entre Nord et Sud: sur la transparence, sur le respect des budgets...
Entre l'Ouest et l'Est de l'Europe la limite est celle entre catholiques ou protestants à l'Ouest et orthodoxes à l'Est. L'Europe centrale, dont fait partie la Tchéquie, est entre les deux: elle fait partie de l'Ouest mais elle est dirigée vers l'Est, ce qui est une richesse. Milan Kundera a écrit dans un essai: "L'Europe centrale, c'est l'Europe occidentale kidnappée par la Russie". Il ne faut pas gommer ces différences.
Aujourd'hui il y a pour l'ambassadeur trois défis pour l'Europe:
- la sécurité, extérieure et intérieure, contre le terrorisme et la criminalité.
- la prospérité, qui n'est pas à la hauteur du potentiel de l'Europe, notamment dans la zone euro: comment relancer l'économie?
- la légitimité: les responsables des institutions politiques, quel que soit leur niveau (Union européenne, Etats, et jusqu'aux communes) savent-ils convaincre que leurs projets sont bons pour les citoyens?
La Tchéquie (Nota: ce terme court est tout à fait admis par l'Etat tchèque) est un pays de taille moyenne/petite (79 000 km2, 1/7ème de la France métropolitaine, 10,5 millions d'habitants), avec une histoire tourmentée. Au Moyen âge c'était un royaume puissant. Au XVe siècle, 100 ans avant Luther, Jan Hus a suscité un mouvement de réforme très global (religieux, social, politique); bien qu'il ait fini sur le bûcher son mouvement a profondément influence le pays, qui a des traditions à la fois protestantes et catholiques. A la même époque, le roi de Bohème Gorges de Podiebrady signe avec le roi de France Louis XI un traité d'amitié. Georges de Podiebrady envoie ensuite des ambassadeurs dans toute l'Europe occidentale pour proposer une alliance permanente (contre l'expansion de l'empire ottoman) sous la forme d'un traité instaurant une « Confédération des rois et princes chrétiens ». Le projet est très élaboré, comprenant les principes d'une assistance mutuelle automatique, d'un arbitrage international, etc. L’Assemblée se réunirait à Bâle, puis, en alternance, dans une ville française et italienne. Les souverains ne donnèrent pas suite au projet, préfiguration de l'Union européenne et de l'OTAN, qui a cependant laissé des traces.
A partir du XVIe siècle la domination autrichienne impose le catholicisme. L'indépendance de la Tchécoslovaquie est acquise à la fin de la Première guerre mondiale ; à la fin des années 30 l'Allemagne nazi occupe d'abord Les régions de langue allemande (avec l'accord de la France et du Royaume-Uni à Munich en 1938...) puis de toute la Tchéquie. Entre 1948 et 1989, l'U.R.S.S. Impose un gouvernement communiste. Après l'indépendance retrouvée, sans violence, le "divorce amical" intervient avec la Slovaquie en 1993: "On s'aime mais pas assez pour être dans un seul État" ; les relations avec la Slovaquie sont d'ailleurs excellentes.
L'ambassadeur a répondu à de nombreuses questions.
Quelle est la situation politique du pays? On observe le déclin des partis traditionnels et apparition de nouveaux partis comme ANO (acronyme de "Action des citoyens mécontents"... qui veut aussi dire oui en tchèque) créé par Andrzej Babis, aujourd'hui premier ministre. ANO a gagné les élections législatives d'octobre 2017 (scrutin à la proportionnelle) avec 30 % des voix, il s'est allié au centre gauche pour approcher la majorité absolue ; le parti communiste (qui a une orientation sociale et pas révolutionnaire) apporte un complément pour faire passer certains textes. La personnalité de Babis fait polémique en Europe: 2ème fortune du pays, il est soupçonné de conflits d'intérêts; il a quitté la gestion de ses biens, mais les textes de l'UE sont plus stricts que les lois tchèques!
Comment se construit l'identité culturelle tchèque actuellement? La Tchéquie a toujours des liens très forts avec l'Allemagne, dans le registre "amour / haine". La période soviétique a entraîné une vue négative sur la Russie et une vue très positive sur l'Allemagne.
Quelle est l'orientation de l'opinion pour les élections européennes? La campagne est encore loin d'avoir démarré. Il y aura probablement des listes anti-UE mais elles ne devraient pas faire plus de 5 à 10 %, en 2014 aucun député anti-UE n'a été élu en Tchéquie (sous-entendu contrairement à la France!).
Pourquoi ne pas entrer dans la zone euro comme l'a fait la Slovaquie? Le premier ministre se dit "euro fédéraliste" mais ce n'est pas bien établi. Il veut développer le commerce avec la Russie et la Chine. Aujourd'hui il est difficile de promouvoir l'euro en Tchéquie, dont l'économie marche très bien: croissance autour de 3 %, inflation faible, chômage très bas, 2 à 3 %. La Slovaquie est entrée dans la zone euro pour des raisons politiques, comme les pays baltes: après 1993 le premier ministre slovaque Meciar a été critiqué par l'UE et par les USA, la Slovaquie a donc été écartée du 1er élargissement de l'OTAN en 1999 et ensuite elle a cherché systématiquement à ne pas rester en dehors des grands regroupements.
Quels sont les points forts de l'économie tchèque? Peut-il être intéressant pour des jeunes français d'aller travailler en Tchéquie? Le point fort est la tradition industrielle: l'industrie représente près de 40 % du PIB (en France 14 %, hors construction), avec une part importante pour l'automobile, mais aussi la chimie, les nanotechnologies. Il y a eu beaucoup d'investissements étrangers, surtout allemands (le France est au 5ème rang pour les investissements étrangers). En septembre Pôle emploi a mis sur pied un programme avec son homologue tchèque pour inciter des jeunes français à aller travailler en Tchéquie. (La Maison de l'Europe a mentionné qu'en 2017 elle avait envoyé 4 jeunes d'un lycée professionnel de Nîmes en stage professionnel à Prague, ville jumelle de Nîmes, avec des bourses Erasmus +, et que ce serait à nouveau le cas en 2019 pour 7 jeunes de Beaucaire).
Immigration - émigration? La politique du gouvernement tchèque est la fermeture aux migrants ne venant pas d'Europe (ces migrants ne veulent d'ailleurs pas aller en Europe centrale), mais il y a actuellement 200 000 Ukrainiens qui ont immigré pour travailler en Tchéquie et se sont très bien intégrés. Dans l'autre sens il y a eu une émigration économique vers l'Europe de l'ouest après 2004 mais beaucoup moins que pour la Pologne (1 million de Polonais ont émigré) ou les pays baltes (en Lettonie un tiers de la population active a émigré!!). Il y a environ 100 000 Tchèques au Royaume-Uni, quelques dizaines de milliers en France. Beaucoup de Tchèques vont travailler en Allemagne et en Autriche mais sans s'y installer durablement.
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