Union européenne-Mercosur: signer mais rester écologiquement vigilants
L’accord entre l’Union européenne et le Mercosur – union commerciale regroupant le Brésil, l’Argentine, l’Uruguay, le Paraguay et le Venezuela (ce dernier suspendu depuis décembre 2016), suscite une avalanche de critiques virulentes. Pour les écologistes de diverses tendances, c’est la porte ouverte aux antibiotiques dans les viandes, aux pesticides dans les plantes, et surtout c’est l’approbation de la destruction de la forêt amazonienne au Brésil par le président Bolsonaro. Pour les « souverainistes », qui se sentent aussi pousser, à cette occasion, des ailes écologistes, les importations vont tout simplement détruire nos exploitations agricoles.
Qu’en est-il réellement ? Les traités de libre échange sont-ils à proscrire ?
Dans toute l’histoire, ces traités ont toujours donné lieu à des oppositions. Jusqu’à la prise de conscience des dégâts que notre forme de croissance économique entraîne pour notre planète, disons les années 1970-1990, la contestation venait logiquement des secteurs économiques nationaux de chaque pays, menacés par la concurrence des secteurs analogues des pays auxquels on s’ouvrait. Déjà en 1892, la France, sous pression paysanne en particulier, avait augmenté ses tarifs douaniers avec la loi Méline.
Le Marché commun a donné lieu à d’âpres discussions. Quand il s’est agi d’y faire entrer la Grèce puis surtout l’Espagne et le Portugal, l’effet positif pour l’industrie était évident (il a été constaté), mais les viticulteurs et arboriculteurs de nos régions du sud s’y sont vivement opposés, et il faut dire qu'il y a eu d’amples restructurations dans ces secteurs avec de vraies victimes. Mais pour les autres secteurs économiques (et les aspects politiques), laisser dehors la Grèce, l’Espagne et le Portugal était impensable.
Ensuite, avec l’ouverture de nos frontières au Japon, d’abord, puis aux "dragons asiatiques" (Corée, Hong-Kong, Taiwan, Singapour) et à la Chine, puis aux autres pays asiatiques et nord-africains, ce sont nos industries "de main-d’œuvre", notamment le textile, puis l’électronique, qui ont trinqué et ont protesté.
Mais les chiffres montrent que, finalement, nos pays européens, y compris la France, n’y ont pas perdu.
Pour les pays européens membres de l’OCDE, si on met en regard sur la période 1960-2016 les taux de croissance du PIB et du commerce extérieur (exportations + importations), on voit que la croissance annuelle du PIB est restée solide, avec une baisse du rythme entre 1974 et 1981 du fait de la hausse brutale des prix du pétrole et 2 années de décroissance en 2008-2009 dues à la crise purement financière de 2008, liée à des prises de risque inconsidérées par des banques anglo-saxonnes. Le commerce extérieur reproduit, en les amplifiant, les fluctuations du PIB.
Les importations de biens et services des pays émergents par les pays de l’OCDE ont évidemment détruit des emplois dans l’agriculture et l’industrie de ces derniers, mais les agriculteurs et industriels de ces mêmes pays de l’OCDE ont globalement exporté vers les pays émergents. Certains pays du nord de l’Europe s’en sont plutôt bien tirés, parvenant même, comme l’Allemagne, à garder un faible taux de chômage. D’autres, comme la France, tout en exportant aussi, n’ont pas su créer suffisamment de nouvelles activités et de nouveaux emplois pour pallier les effets des importations.
L'Union européenne en charge du commerce extérieur des six, neuf..., aujourd'hui vingt-huit pays, s'est préoccupée de l'ensemble des pays et ne pouvait évidemment pas ajuster une politique commerciale propre à chaque pays, à ses compétences et à ses fluctuations politiques.
Chaque accord commercial de l’Union européenne donne donc lieu à des contestations économiques sur ses effets attendus. Ces effets sont loin d'être négatifs.
L’accord avec le Canada par exemple, entré en grande partie en vigueur en 2017, a permis à l’Europe d’augmenter ses ventes au Canada de 7% entre 2017 et 2018, avec cependant une déception sur le fromage: nous avions obtenu dans l’accord un contingent de 18 500 tonnes et n’en avons vendu que 17 000. En contrepartie l’invasion de viande de bœuf tant redoutée, avec un contingent de 45 000 tonnes, est loin de s’être produite : à peine 365 tonnes.
De l’accord avec la Corée du sud signé il y a cinq ans, on attendait une hausse de 25% de nos exportations: elle a été de 60% ! L’Union européenne assure désormais 13% des importations coréennes, contre 9% avant l'accord, derrière la Chine mais devant les Etats Unis. D’un déficit de 10 milliards € avec la Corée nous sommes passés à un excédent de 5 milliards.
Il en ira certainement de même, sur le plan économique, de l’accord avec le Mercosur. Les deux ensembles, globalement, en tireront un avantage commercial global. Comment se répartira-t-il entre les divers pays européens, et, pour le Mercosur, entre ses pays constituants? Tout dépendra de l’agilité économique de chacun.
Ajoutons que pour les pays du "tiers monde" des années 60, ces accords commerciaux ont l’avantage de faire "émerger" ces pays, les enrichir, et y faire apparaitre une classe moyenne, assise de la démocratie.
Mais nous vivons aujourd’hui, et en avons enfin conscience, dans "l'ère géologique de l’homme": l'influence de l'activité humaine sur la biosphère a atteint un tel niveau qu'elle est capable de transformer la planète. La croissance économique telle que nous la "produisons", et d’autant plus qu’elle est rapide, nuit aux équilibres de la planète.
Transporter les marchandises depuis leur lieu de production est déjà, en soi, un acte de pollution, bien même s'il est bien moindre par bateau ou train. Mais, de plus, détruire des forêts primaires pour y planter des palmiers à huile ou y faire de l’élevage, avec force pesticides et antibiotiques, contribue fortement à la destruction de la planète. Sur ce point la critique écologique est fondée. Il faut cependant souvent y regarder de plus près: le sucre de canne produit en Amérique du Sud est beaucoup moins carboné, même si on tient compte du transport, que le sucre de betterave français qui nécessite de gros moyens pour la culture et l'extraction. Et les bovins élevés en France sont en partie nourris avec du soja importé. Globalement les émissions de CO2 dues au transport sont bien inférieures à celles de la production. Mais cela n'enlève rien à l'intérêt écologique d'être "locavore", les cerises ce n'est pas à Noël ! Et l'eau du robinet est bien plus écologique à tous points de vue que l'eau en bouteilles...
Il n'en reste pas moins que l’humanité est face à un choix entre toujours plus de croissance avec la destruction de son biotope, ou une croissance un peu plus lente et surtout économe, mais avec plus de solidarité.
Les accords commerciaux, peuvent alors retrouver une légitimité, s’ils sont écrits, et surtout appliqués, pour contraindre les pays exportateurs à adopter les règles écologiques que les pays importateurs imposent à leurs propres producteurs. Ils peuvent alors contribuer au sauvetage de la planète. Il est cependant vrai qu’une veille sérieuse, comme une sanction sous forme d’interdits d’importations, n'est pas facile. Cecilia Malmström, Commissaire européenne au commerce depuis 2014 a raison de dire « qu’on ne va pas s’attaquer au défi climatique en refusant de faire du commerce ». Encore faut-il que les autorités européennes fassent preuve d’une vraie fermeté sur ce point.
La nouvelle Commission européenne qui sera bientôt constituée devra être vigilante!
Avec l'aide d'un billet de blog de Jean Matouk