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ARCTIQUE : un enjeu climatique ou stratégique ?

L’écologie et la stratégie s’opposent désormais en Arctique.


Les enjeux autour de l’Arctique sont énormes. Le climat et l’environnement de la zone Arctique évoluent brutalement sous la pression du changement climatique. Mais les tensions géostratégiques s’intensifient aussi autour des revendications territoriales de la Russie basées sur la dorsale de Lomonossov qui est aussi réclamée par le Canada et le Groenland. Cela a conduit à identifier les hautes latitudes de l’hémisphère Nord comme une zone sujette à une crise environnementale et/ou stratégique majeure à court ou moyen terme.

Le Rapport du GIEC (Groupe d’Experts Internationaux sur l’Evolution du Climat) sur les océans et la cryosphère paru en 2019 indique qu’au cours des 20 dernières années, l’augmentation de la température de l’air à la surface de l’Arctique a été 2 fois plus importante que la moyenne constatée sur le reste du globe. Et l’océan Arctique est une composante essentielle dans la régulation du climat de notre planète. Selon une formule consacrée, « ce qui se passe dans l’Arctique, ne reste pas dans l’Arctique ». Cet élément est majeur notamment par son influence sur les courants océaniques de l’hémisphère nord.


Pendant les hivers 2016 et 2018, la température de surface en Arctique central a été supérieure de 6ºC par rapport à la moyenne de la période 1981–2010, ce qui a contribué à un recul de la glace sans précédent dans la région.


Mais si le réchauffement climatique allonge la période au cours de laquelle il est possible de naviguer par les routes du Nord-Est (le long des côtes de Russie) et du Nord-Ouest (le long des côtes du Canada et de l’Alaska) : 1 800 passages en 1996, 18 000 en 2018 ; si l’exploitation d’hydrocarbures ou d’autres minerais y devient plus rentable ; alors, en se retirant, la banquise laisse face à face, autour d’un nouvel espace de confrontation, l’Europe, la Russie et l’Amérique du Nord.


Les enjeux économiques et géostratégiques


La Route maritime du Nord


Le gouvernement russe a fait du développement de la Route maritime du Nord (RMN) une de ses priorités. Il modernise et investit dans ses infrastructures pour permettre l’exploitation des richesses des régions du grand Nord russe et leur exportation vers les marchés asiatique et européen. Aucune des grandes compagnies de transport maritime n’a à ce jour développé de ligne transcontinentale régulière par la RMN et l’augmentation du trafic maritime transcontinental permise par le recul des glaces estivales devrait rester limitée jusqu’en 2030 au moins.


Le Passage du Nord-Ouest


Le Passage du Nord-Ouest voit également ses eaux se libérer progressivement des glaces sous l’effet du réchauffement climatique. Cependant le Canada n’a pas pour objectif d’y développer le transit maritime : le « Cadre de politique pour l’Arctique et le Nord » publié par le gouvernement canadien en septembre 2019 rappelle que les conditions variables des glaces continuent de rendre la navigation difficile et dangereuse et souligne le risque que ferait courir à l’environnement l’augmentation du nombre de navires dans la région.


La réglementation de la pêche en Arctique


La signature en octobre 2018 d’un accord visant à prévenir la pêche non réglementée en haute mer dans l’océan Arctique central par les 5 États côtiers de cet océan (Russie, Canada, Danemark -agissant au nom du Groenland et des Îles Féroé-, Norvège et États-Unis) ainsi que par la Chine, l’Union européenne, l’Islande, le Japon et la Corée du Sud, est une avancée essentielle pour protéger l’océan Arctique et son écosystème fragile.


L’exploitation des ressources minérales


Selon une étude publiée en 2008 par l’Institut d’études géologiques des États-Unis, l’Arctique pourrait recéler jusqu’à 13 % des réserves mondiales non encore découvertes de pétrole et 30 % de celles de gaz. Ces richesses font de l’Arctique une région stratégique sur le plan énergétique, mais l’enjeu mérite d’être nuancé. Il convient de relativiser l’idée d’une « course » à l’exploitation de ces richesses puisqu’une grande partie de ces ressources est localisée soit dans le sous-sol des États de la région soit dans des zones maritimes sous leur juridiction (Zone Économique Exclusive).


De plus, les estimations de l’Institut d’études géologiques des États-Unis portent sur des ressources non découvertes et extrapolées à partir de la géologie de bassins sédimentaires mal connus notamment dans le domaine off-shore. Les surcoûts d’exploitation liés aux conditions climatiques et glaciales, au manque d’infrastructures, à l’isolement et aux dangers inhérents aux zones polaires diminuent considérablement l’attractivité économique de ces gisements.


Les énergies renouvelables et nouvelles technologies


Dans une région où changement climatique rime avec perspectives de développement économique et commercial, il y a un enjeu tout particulier à se projeter en termes de croissance verte en misant sur les énergies renouvelables, les technologies vertes, l’investissement et l’innovation. L’Arctique est un laboratoire de nouvelles technologies dans les domaines des technologies de l’information et de la communication (TIC), robotique, automatisme, systèmes embarqués, capteurs.


Les instances de l’Arctique


Le Conseil de l’Arctique a été créé par la déclaration d’Ottawa de 1996 signée par les 8 États de la région (Canada, Danemark, États-Unis, Finlande, Islande, Norvège, Russie, Suède) avec la présence de 13 États observateurs, dont la France depuis 2000 et de l’UE comme invité permanent depuis 2016. Il constitue l’enceinte politique de coopération régionale référente sur les questions arctiques. Il ne peut traiter des questions militaires et de souveraineté (qui sont exclues de son champ de compétence), afin de concentrer les discussions sur des sujets pouvant plus facilement faire l’objet d’un consensus tels que :

· L’accord sur la recherche et le sauvetage en matière aérienne et maritime en Arctique (2011),

· L’accord sur la lutte contre les pollutions marines par les hydrocarbures (2013)

· L’accord sur la coopération scientifique internationale dans la région (2017).


Ces textes ne sont pas des actes du Conseil arctique, mais des accords intergouvernementaux négociés et adoptés dans le cadre du conseil.

Il existe d’autres instances actives, dont le conseil euro-arctique de la mer de Barents dont l’Union européenne est membre et auprès duquel la France dispose d’un statut d’observateur ou l’Organisation maritime internationale ou encore la Commission hydrographique régionale de l’Arctique de l’Organisation Hydrographique Internationale.


Pour l’Europe l’enjeu est de taille :

  • 50% des habitants de la région arctique sont des européens

  • 24% des hydrocarbures consommées par l’UE proviennent de l’Arctique

  • 200 millions d’€ ont été dépensées par l’UE pour la recherche scientifique sur l’Arctique

Deux pays de l’UE sont directement liés à cette région, la Suède et la Finlande ainsi que trois pays associés, le Danemark (le Groenland) l’Islande et la Norvège. Ils sont aussi membres de l’OTAN.


Quel rôle l’Europe et l’Otan peuvent-elles jouer en Arctique ?


« L’Otan n’a pas les moyens d’agir dans l’Arctique, c’est la Russie qui y détient toutes les clés », affirme Vladimir Karyakin, spécialiste des affaires militaires et chargé de cours à l’université du ministère russe de la Défense. La réalité est sans doute plus nuancée et une confrontation dans les eaux arctiques serait risquée pour la Russie. Après avoir suivi des stratégies consensuelles axées sur la préservation de l’environnement, les pays européens riverains de l’Arctique ont révisé leur approche. En 2018, la Marine française a fait naviguer le BSAM Rhône dans le passage du Nord-Est sans l’aide de brise-glaces russes. Le Royaume-Uni a lui aussi décidé de renforcer sa posture et ses partenariats. À la fin de l’année, l’Union européenne devrait elle aussi établir sa feuille de route.

Au-delà de l’analyse, les pays européens membres de l’Otan ont aussi décidé de renforcer leurs capacités dans la zone. En 2017, la Suède a rétabli le service militaire. En février dernier, le Danemark a annoncé un investissement de 200 millions d’euros pour accroître ses moyens militaires, notamment en s’équipant de drones de surveillance au-dessus du Groenland et d’une station radar dans les îles Féroé. En avril, les États-Unis et la Norvège ont révisé leur accord de défense. Washington va financer la construction de nouvelles infrastructures dans quatre sites norvégiens, Rygge, Sola, Evenes et Ramsund, dont deux situés dans le nord du pays. Il s’agit d’une première. Elles pourront servir de base en cas de conflit. Le défi est stratégique pour la Russie : la flotte du Nord doit emprunter la mer de Barents pour se déployer.


Pourquoi le Groenland est-il stratégique ?


La proposition de rachat du Groenland par Donald Trump en 2019 n’était pas une boutade. L’île occupe une position stratégique pour les Américains, qui y avaient construit plusieurs bases durant la Seconde Guerre mondiale et avaient offert 100 millions de dollars en 1946 pour la racheter au Danemark, son colonisateur. Les États-Unis y ont établi une base radar à Thulé en 1951, qui est devenue un maillon essentiel de leur bouclier antimissile. En 1959, Washington a aussi construit à 200 km de Thulé Camp Century, une base secrète sous la calotte glaciaire, au cœur du projet militaire « Iceworm » (Ver de glace), destiné à stocker jusqu’à 600 missiles balistiques à portée de tir de l’URSS. En 2020, les États-Unis ont annoncé le renforcement de leur présence militaire dans l’île dans les années à venir. Washington est toujours préoccupée par les menaces russes en Arctique.


Parallèlement, la Chine affiche elle aussi des visées sur le « pays vert ». Pékin est intéressé par les richesses minérales, notamment l’uranium et les terres rares, le pétrole et le gaz, et son accès à l’océan Arctique facilité par la fonte des glaces. Le président Xi Jinping aspire à en faire une tête de pont pour développer sa « nouvelle route de la soie polaire » dans le cadre de son ambitieuse initiative « Belt and Road ». La Chine espère développer des infrastructures minières et de transport en Arctique.


L’Union européenne s’est engagée en Arctique depuis 2008, pour diverses raisons environnementales, scientifiques et stratégiques, notamment pour la protection de l’environnement arctique, la lutte contre le changement climatique, la promotion de l’utilisation durable des ressources naturelles et du développement économique régional.


La politique arctique actuelle de l’Union est largement définie dans la communication conjointe de 2016 intitulée « Une politique intégrée de l’Union européenne pour l’Arctique ». Dans le contexte d’une attention géopolitique accrue pour la région, une mise à jour de la politique arctique de l’UE a été annoncée à l’automne 2019 et devrait maintenant être publiée à la fin de 2021. Alors que les questions militaires sont de plus en plus présentes dans le débat public, le Conseil de l’Arctique, principal forum de gouvernance de la région, n’a pas mandat pour traiter les questions militaires. De plus, le changement climatique continue d’avoir un impact sur le développement économique et social, et son importance en termes de sécurité humaine doit également être prise en compte. L’UE doit réévaluer son approche face à l’évolution du paysage (géostratégique) arctique.

En conclusion, l’Arctique est l’objet de toutes les attentions. L’évolution du climat y est beaucoup plus évidente que dans les autres régions du monde, et la disparition du Gulf Stream ou le décalage du « jetstream nord » pourrait avoir des conséquences météorologiques majeures pour l’hémisphère nord à court terme. La fonte des glaces attise aussi les appétits économiques et stratégiques autour du contrôle de la navigation, de l’exploitation des ressources en hydrocarbures et en terres rares notamment. Paul-Emile Victor doit se retourner dans sa tombe (dont le corps a été immergé au large de Bora Bora) lui qui voulait des régions polaires propres et démilitarisées !


Sources et pour en savoir plus :

1) La militarisation de l’Arctique est-elle inéluctable ? Alain BARLUET Slim Allagui Nicolas BAROTTE Le Figaro 24 mai 2021

2) La France et les nouveaux enjeux stratégiques en Arctique. Ministère des armées Edition 2019 https://www.defense.gouv.fr/salle-de-presse/communiques/communique_la-france-et-les-nouveaux-enjeux-en-arctique

3) Quelle est la politique de l’Union européenne en Arctique ? une conversation avec l’ambassadeur Michael Mann Le Grand Continent 18/01/2021

4) La politique arctique de la Russie de Marlene Laruelle Notes de l’IFRI N° 117 Mars 2020

5) L’Arctique (II) : l’exemple de la stratégie intégrale russe. La note du CERPA 12/2017

6) Une politique arctique intégrée de l'Union européenne Bruxelles, le 27.4.2016 JOIN(2016) 21 final

7) Camille Escudé-Joffres, «Les régions de l'Arctique entre États et sociétés», Géoconfluences, septembre 2019.


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