Dépendance, dépendance, quand tu nous tiens !

L'Europe est un beau projet qui est né au lendemain de la Seconde guerre mondiale pour ne plus jamais revoir les horreurs commises alors. Les pays européens étaient ruinés économiquement, affaiblis militairement, se sentaient menacés par les prises de pouvoirs des communistes en Europe centrale et orientale. Assez naturellement, ils se sont tournés vers les Américains, grands vainqueurs de ce conflit, pour assurer leur protection. Cela a débouché sur la création de l'OTAN (voir l'article ci-après) qui a pris en charge la sécurité des pays européens.
Depuis 1949, les États d'Europe de l'Ouest sous-traitent à l'OTAN, donc aux États-Unis leur défense ; cela a un prix : un alignement géopolitique sur leur protecteur. Toutes les tentatives pour s'en affranchir ont échoué et les États d'Europe centrale et orientale, libérés du joug soviétique depuis 1989, n'ont eu de cesse de s'abriter sous cette ombrelle protectrice avec un zèle d'autant plus grand que la menace russe reste omniprésente.
Face à l'invasion de l'Ukraine par la Russie, c'est Washington qui a révélé les préparatifs russes, fourni l'essentiel des armements, tandis que les Allemands sollicitèrent son autorisation pour livrer leurs chars à Kyiv. L'utilité évidente à court terme de l'OTAN a clos tout débat sur une défense européenne à moyen terme.
En matière d'armement, certains de nos partenaires européens préfèrent acheter du matériel militaire américain « sur étagère » plutôt que financer des programmes européens.
Mais cette dépendance s'étend aussi au domaine économique : tous les principaux acteurs innovants sont américains. Où sont les Google, Facebook, Amazon, Apple, Tesla, Twitter (maintenant X) européens ? Pendant trop longtemps, toutes les tentatives de créer des géants européens ont été taclées par une doctrine de la concurrence érigée en dogme, toutes les velléités de financement public d'industries naissantes ont été traquées.
Nos industries d'ordinateurs grand public, de panneaux solaires... ont disparus. Le mot de « politique industrielle» était un gros mot abhorré par les libéraux européens.
Dans le domaine culturel, nos écrans sont envahis par les productions américaines, les meilleures comme les pires alors que les films européens, même très bons, ont du mal à se faire connaître en dehors de leur pays d'origine. Le « globish » américain (même les Anglais sont horrifiés par cette langue abâtardie) est devenu la langue de communication en Europe, promue par la Commission européenne qui ne veut plus s'encombrer d'un multilinguisme trop coûteux.
Autre domaine de renoncement : la monnaie. Pendant les « Trente glorieuses », nous nous sommes accommodés de la dépendance au dollar : c'était notre monnaie (et notre problème !) pour non seulement nos exportations mais pour nos réserves. L'effondrement du système Bretton Woods (la convertibilité du dollar en or) a constitué une raison supplémentaire pour mettre en place une monnaie commune (l’Écu) puis unique (l'Euro) malgré le scepticisme (au mieux) ou les manœuvres (au pire) de la finance anglo-saxonne. Nous y sommes enfin parvenus mais nous acceptons encore de payer notre pétrole ou de vendre nos avions en dollars.
Dès qu'un État membre (souvent la France !) suggère que l'Union européenne puisse s'affranchir un tant soit peu des U.S.A dans un domaine ou un autre, le chœur des atlantistes se lamente des risques de découplage entre les deux rives de l'Océan.
Les intérêts des Européens sont parfois convergents avec ceux des Américains (par exemple pour la guerre en Ukraine) mais souvent divergents et quelquefois même opposés ; nous devons être capables, nous Européens, d'être indépendants vis à vis du grand frère américain. Espérons que ce sujet sera abordé sereinement lors des prochaines élections européennes, non pas pour prôner le départ de l'OTAN, la sortie de l'Union européenne, l'abandon de l'euro ou l'alignement sur la Russie mais pour nous donner les outils d'une indépendance tout en maintenant une coopération euro-américaine d'égal à égal dans tous les domaines où elle peut être profitable aux deux parties.
Frédéric BOURQUIN, président de la Maison de l'Europe de Nîmes
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