Digital Service Act régule les géants du Net
« Ou comment l’Union Européenne prend le leadership mondial de la régulation des géants du Net »

Sous cet acronyme anglo-saxon se cache une législation européenne de la plus haute importance pour les utilisateurs d’Internet. Après le Règlement Général sur la Protection des Données et celui sur le marché numérique (Digital Markets Act) au mois de mai, la Commission européenne dispose désormais d’un arsenal législatif pour encadrer le pouvoir des géants de l’Internet. (Alibaba, AliExpress, Amazon, l’App Store, Bing, Booking, Facebook, Google, Google Play, Google Maps, Google Shopping, Instagram, LinkedIn, Pinterest, Snapchat, TikTok, Wikipédia), X (Twitter).
Réjouissons-nous !!!
En 18 mois, l’UE s’est imposée comme la seule structure capable d’imposer aux géants du Net de s’autoréguler. Ces entreprises du numérique ont fait preuve de leur incapacité à s’autoréguler efficacement. De ce point de vue, le D.S.A. répond à un vide juridique qu’il était urgent de combler. La course à l’innovation (dont l’Intelligence Artificielle est le moteur) ne peut justifier de continuer à laisser sans garde-fou ces entreprises qui, à force de promouvoir les contenus clivants pour susciter un maximum de réactions extrémistes, nourrissent la polarisation de la société et viennent perturber le jeu démocratique.
Le principe de base est simple :
« Ce qui est illégal hors ligne doit aussi l'être en ligne »
L’application est plus complexe. Il faut trouver un délicat équilibre entre liberté d'expression, prépondérante, et lutte contre les abus qui menacent les droits fondamentaux ou la démocratie (perturbations des élections, désinformation, protection des mineurs...).
Globalement dans un premier temps, les plateformes devront :
Expliquer le fonctionnement des algorithmes pour chaque publication suggérée. En un clic, les utilisateurs européens doivent être en mesure de comprendre pourquoi ils ont été ciblés par un contenu.
Proposer des recommandations sans algorithme, c’est-à-dire par ordre chronologique. Il sera interdit pour une plateforme de forcer ses utilisateurs à regarder les contenus dans un ordre qu’ils ne contrôlent pas. Tous les contenus proposés sur les réseaux sociaux doivent pouvoir être triés chronologiquement, sans contenu externe.
Ne plus diffuser de publicités ciblées aux mineurs, qui se verront proposer un contenu moins personnalisé.
Garantir aux utilisateurs un système pour rétablir un compte fermé, en faisant appel et en ayant un suivi de sa demande.
Proposer aux internautes un outil pour signaler facilement les contenus « illicites » (définis par les législations nationales ou d'autres textes européens), puis les retirer rapidement. Des « signaleurs de confiance » dans chaque pays (comme le site gouvernemental Pharos en France) verront leurs alertes traitées en priorité.
Ces dernières semaines, la plupart des grandes plateformes, comme Google et Microsoft, ont annoncé des efforts de mise en conformité. Meta (Facebook) dit avoir recruté 1.000 personnes et estime que le DSA constitue « un événement majeur pour toutes les entreprises technologiques qui opèrent dans l'UE et aura un impact significatif sur l'expérience des Européens ». TikTok a listé publiquement les mesures adoptées, Apple explique qu’il est en train de les mettre en place et Elon Musk a promis que X (ex-Twitter) respecterait le DSA.
Le respect des règles sera contrôlé par des audits indépendants, sous l'œil de Bruxelles. Toute infraction sera passible d'amendes pouvant aller jusqu'à 6% du chiffre d'affaires mondial. Menace ultime, les récidivistes pourraient être interdits. Selon Eric Le Quellenec, avocat chez Simmons et Simmons « La mécanique de signalement et le recours à des signaleurs de confiance changent la donne, ainsi que les audits contrôlés par Bruxelles ». Ce contrôle est supervisé par un organisme collégial des 27, « afin d'éviter que des pays appliquent une définition trop large des contenus illicites, comme la Pologne ou la Hongrie », ajoute-t-il. « Cela fera reculer partiellement l'anonymat en ligne : on va tracer les vendeurs et ceux qui publient massivement des contenus illicites ».
« Est-ce que le DSA sera efficace ? On verra à l'usage. Mais c'est un système novateur car il instaure un dialogue permanent entre acteurs, régulateurs et utilisateurs. Il y aura aussi un 'Brussels effect' au-delà de l'UE », relève Marc Mossé, avocat du cabinet August Debouzy.
En tout cas, nous pouvons être fiers et nous réjouir de ce que l’Union européenne a pu faire, rapidement (18 mois), et qui est en train d’influencer la monde entier pour plus de transparence et de justice.
Charles-Antoine ROUSSY
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