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L’affaire de corruption au Parlement européen

Vendredi 9 décembre 2022, en plein Mondial de football au Qatar, coup de tonnerre sur le Parlement européen : après une enquête de la justice belge, inculpation de 6 personnes liées au Parlement européen, dont une des vice-présidentes, Eva Kaili, eurodéputée grecque de 44 ans, ancienne présentatrice de télévision en Grèce, pour de forts soupçons de corruption. Son compagnon, qui est assistant parlementaire, fait partie des inculpés, de même qu’un ancien député européen et que le père d’Eva Kaili, arrêté avec dans sa voiture un gros sac de billets « dont il ignorait qui l’y avait mis » (bien sûr…). Chez Eva Kaili, ce sont plusieurs centaines de milliers d’€ qui ont été trouvés lors d’une perquisition, elle aussi en ignorait l’existence et la provenance....


Photo : Eva Kaili, ex-vice-présidente du Parlement européen


Le juge d’instruction belge a indiqué « suspecter le versement par un pays du Golfe d’importantes sommes d’argent ou l’offre de cadeaux significatifs à des tiers ayant une position politique et/ou stratégique permettant, au sein du Parlement européen, d’influencer les décisions. ». Ce pays n’est pas nommé, mais tout le monde a traduit : le Qatar, sous les projecteurs du Mondial et vivement critiqué pour ses insuffisances dans le respect des droits de l’homme et des droits des travailleurs, et voulant améliorer son image dans l’Union européenne.

Très vite tous les médias ont parlé de Qatargate.


Pourquoi, au passage, parler systématiquement de « trucmuche - gate » dès qu’il y a un scandale embarrassant pour des responsables ou des institutions politiques ?

Les moins jeunes se souviennent probablement que l’origine est aux USA : en 1972, année d’élection à la présidence, des « cambrioleurs » sont arrêtés par un gardien dans les locaux du parti démocrate à Washington, dans le complexe d’hôtels et de bureaux Watergate, avec du matériel d’écoute. Le président républicain Richard Nixon est candidat pour un second mandat et il sera réélu. Une longue enquête menée en particulier par deux journalistes du Washington Post et aussi par le Sénat (à majorité démocrate) montre que les « cambrioleurs » agissaient pour la Maison Blanche. En 1974, Nixon doit démissionner… le suffixe « gate » restera !!

A noter qu’à la même époque, en 1973, en France, des « plombiers » (en réalité des policiers) sont découverts une nuit dans les locaux du Canard enchaîné en train de poser des micros…


Revenons au Qatar, dont personne n’ignore l’étendue abyssale des moyens financiers. Le 24 novembre, sous l’impulsion d’Eva Kaili, le groupe Socialistes et Démocrates du Parlement européen avait défendu la Qatar et rejeté une motion sur l’état des droits humains dans ce pays du Golfe. Eva Kaili avait alors qualifié le Qatar de « précurseur en matière de droit du travail ». Bizarre, non ?


Dès le 13 décembre, le Parlement européen réuni en plénière a suspendu Eva Kaili de ses fonctions. En Grèce, le PASOK (parti socialiste) a radié Eva Kaili de ses rangs et le gouvernement a annoncé le gel de ses avoirs et un contrôle fiscal à son encontre.


Il semble en plus que le Maroc ait également « offert des cadeaux » à des personnes de l’entourage d’Eva Kaili, dans le but d’atténuer les critiques sur l’occupation de l’ex – Sahara espagnol.


Dans sa réponse le 16 décembre à la Maison de l’Europe à des questions sur toute cette affaire du « Qatargate », la députée européenne Irène Tolleret a donné des indications sur des États influenceurs, sans qu’il y ait forcément corruption caractérisée : notamment la Russie dont la pratique de l’ingérence est bien connue. Elle a souligné malicieusement que des députés européens « de certain(s) groupe(s) » avaient brusquement besoin d’aller aux toilettes au moment du vote sur un texte défavorable à la Russie, et ainsi pouvaient éviter de voter (les votes sont publiés) ….


Plus sérieusement, il est bien connu que Bruxelles fourmille de lobbyistes, qui sont d’ailleurs utiles sur des questions peu maîtrisées par les députés : les lobbyistes sont une source d’informations, aux députés de faire le tri entre informations et influence.

Pour que les contacts se fassent en toute transparence, pour rencontrer les députés les lobbyistes doivent être inscrits sur un registre officiel, et leurs visites sont répertoriées.

Le registre compte près de 13 000 organisations, de Total Énergies à Greenpeace, mais les représentations diplomatiques des États ne sont pas soumises à l’inscription sur le registre.

Mme Tolleret et de nombreux députés européens plaident pour le registre soit appliqué aux États, et que les contrôles soient renforcés. En attendant, les titres d’accès de représentants du Qatar au Parlement européen ont été suspendus.


Le Qatar est certes éclaboussé par ce scandale, mais sa richesse en gaz naturel (3èmes réserves du monde) et sa position dans une zone très sensible font de lui un partenaire embarrassant mais indispensable pour l’Europe. Et il le sait parfaitement, il suffit de voir sa réaction en décembre à la suspension d’accès au Parlement européen pour ses représentants : « cela pourrait avoir un effet négatif sur la coopération en matière de sécurité, ainsi que sur les discussions en cours sur la rareté et la sécurité énergétiques mondiales ». Mais réciproquement le Qatar, tout petit pays dans un Moyen-Orient instable avec des conflits, a besoin d’un partenariat solide avec l’Europe, qui en plus lui fournit une bonne partie de son armement.


En guise de conclusion : malheureusement les personnes ne sont pas toutes infaillibles, mais heureusement cette affaire ne concerne que très peu de députés parmi les 705 qui composent le Parlement européen. La quasi-totalité d’entre eux travaillent beaucoup en toute probité. Ne nous laissons pas influencer par les ragots du genre « tous pourris » !


Jean-Jacques SMEDTS

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