L’Agence européenne des médicaments : un outil peu connu et pourtant très efficace
Nous disons souvent - pour le regretter - que l’Europe n’a pas de compétence en matière de santé publique. En fait, ce n’est qu’en partie vrai. La santé est dite « compétence communautaire d’appui », ce qui signifie que l’UE dispose d’outils et de moyens qui lui permettent d’intervenir en soutien et en complément des politiques nationales de santé publique.
Le Covid-19 est l’occasion de réfléchir aux acquis, et sans doute aux lacunes, de cette complémentarité.
Intéressons-nous pour l’instant à l’un des bras armés par lesquels s’applique cette complémentarité, renforcée en 2009 par le Traité de Lisbonne : l’Agence européenne des Médicaments, naguère basée à Londres, désormais transférée à Amsterdam (conséquence du Brexit).Qu’est-ce que l’Agence européenne des médicaments ?
Un simple clic nous apprend que « l’Agence a pour mission principale d’autoriser et de contrôler les médicaments dans l’UE. Les entreprises lui soumettent leur demande d’autorisation de mise sur le marché, qui est délivrée par la Commission européenne. Si elles obtiennent cette autorisation, elles peuvent commercialiser le médicament concerné dans l’ensemble de l’UE et de l’EEE (Espace économique européen)(1). » (https://europa.eu/european-union/about-eu/agencies/ema_fr)
Autrement dit, tout médicament distribué et prescrit dans l’Union européenne a dû préalablement obtenir de l’Agence la fameuse AMM, autorisation de mise sur le marché. Ceci confère donc à cette Agence un rôle tout à fait fondamental, même si dans la pratique les choses sont un peu plus compliquées.
En amont de cette étape, l’Agence s’implique auprès des acteurs du domaine pour faciliter la mise au point de médicaments et garantir leur accessibilité. Dans les phases suivantes, son rôle reste tout aussi important puisqu’elle a pour tâches de contrôler la sécurité des médicaments tout au long de leur cycle d'utilisation et de vie et de fournir des informations aux patients et aux professionnels de la santé.
Au-delà de cette seule compétence, l’Agence peut aussi, en coordination avec la Direction générale "Santé et sécurité alimentaire" de la Commission européenne, être à l’origine de législations européennes contraignantes. Deux exemples :
- les réglementations (nationales) sur le tabac sont assises sur une norme européenne qui limite la teneur en goudron et nicotine, et rend obligatoire l'inscription d'un avertissement sur les paquets de cigarettes et de tabac ;
- un des Comités scientifiques qui constituent l’Agence, le Comité consacré aux Thérapies innovantes (CAT pour Committee on Advanced Therapies), est à l’origine d’un règlement (c'est donc un texte d’application directe et immédiate) qui « établit des règles spécifiques pour l’autorisation, la surveillance et la pharmacovigilance en ce qui concerne les médicaments de thérapie innovante ».Dans le contexte actuel, où l’actualité nous apporte chaque jour son lot d’informations brûlantes, une question se pose : l’Agence joue-t-elle un rôle dans la mise en place et la conduite de l’étude Discovery, oragnisée en urgence pour comparer l’efficacité de plusieurs protocoles thérapeutiques face au Covid-19 ?On le sait, cette étude porte sur 3200 patients recrutés dans 7 pays européens (dont 800 en France) ; lancée le 22 mars, elle laisse espérer des premiers résultats - qui ne seront pas publiés - pour mi-avril, même si leur analyse, permettant seule d’aboutir à des conclusions, exigera un délai plus long (on parle de mi-juin).
En fait, l’Agence européenne des médicaments n’a sans doute pas à intervenir directement à ce stade. Son rôle sera prépondérant lors de l’étape suivante, justement celle de la mise au point et de l’autorisation de mise en marché de nouveaux médicaments s’il y a lieu. Pour l’instant, ce sont d’autres acteurs, également concernés par l’action européenne en santé publique, qui sont en première ligne, et qui vue l'urgence s’intéressent à des produits déjà en circulation. Si des indications nouvelles doivent être proposées pour ces spécialités existantes, sans doute alors l’Agence des médicaments aura-t-elle son mot à dire.
On découvre d’ailleurs au prix de recherches assez simples sur Internet que bien d’autres programmes étaient déjà en place, ou sont accélérés, pour tenter de trouver le plus rapidement possible un protocole thérapeutique face au Covid-19. Voir notamment https://www.inserm.fr/sites/default/files/2020-03/Aviesan_Reacting_CPCOVID19_110319.pdf pour en savoir plus. On y apprend que la recherche française est mobilisée au niveau européen avec la coordination du projet RECOVER (Rapid European COVID-19 Emergency Response), dont l’appellation seule indique le haut degré de réactivité des autorités de santé, y compris européennes, puisque ce projet de recherche financé par la Commission européenne implique 10 partenaires internationaux et comprend plusieurs volets dont des études épidémiologiques, des études cliniques, et des études en sciences sociales.
En clair, les différentes instances européennes de santé publique collaborent activement, et depuis longtemps, et avec des résultats dont il est malaisé de mesurer la vraie dimension ; il est vrai que le silence médiatique qui entoure ces initiatives (en partie explicable par leur aspect très technique), n’aide guère à cette prise de conscience.
Il reste à espérer que l’urgence que nous connaissons aujourd’hui contribuera à lever un peu ce voile. Car de toute évidence, « Santé et Europe » est un sujet dont nous n’avons pas fini de parler.
Pour en savoir plus (entre autres) :
https://www.inserm.fr/sites/default/files/2020-03/Aviesan_Reacting_CPCOVID19_110319.pdf
(1) EEE = les 27 Etats membres de l'UE + l'Islande, le Liechtenstein et la Norvège, plus la Royaume-Uni au moins jusqu'au 31 décembre 2020
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