L’avenir des relations franco-allemandes à la lumière des élections en Allemagne
Le 26 septembre les Allemands ont élu leurs députés au Bundestag, plaçant en tête le SPD (sociaux-démocrates) juste devant la CDU-CSU (chrétiens démocrates, le parti d’Angela Merkel) puis les Verts et le FDP (libéraux). Cependant aucune majorité évidente ne s’est dégagée de ces élections et les négociations se sont vite engagées entre le SPD, les Verts et le FDP en vue d’une coalition de gouvernement, dite « feu tricolore » à cause des couleurs de ces partis, rouge-vert-jaune. Au cas où cette négociation n’aboutirait pas, d’autres solutions seraient une coalition « Jamaïque » CDU-CSU – Verts et FDP (là aussi à cause des couleurs, noir-vert-jaune) voire une « grande coalition » ou (mais cela paraît beaucoup moins probable) GroKo SPD – CDU-CSU, comme c’était le cas ces dernières années.
Une certitude : Angela Merkel ne sera plus chancelière, après 16 années au pouvoir elle avait clairement dit que c’était fini. Elle laissera le souvenir d’une grande stabilité, avec parfois des décisions impulsives, comme l’arrêt de nombreuses centrales nucléaires juste après l’accident de Fukushima en 2011 ou l’accueil d’un million de migrants en 2015-2016, avec les mots célèbres « Wir schaffen das ! - Nous y arriverons !».
Les Maisons de l’Europe de Leipzig et de Nîmes se sont associées pour organiser ensemble une table ronde en ligne le 5 octobre en fin d’après-midi (18h30 à 19h30), donc juste après les élections allemandes, sur le sujet « L’avenir des relations franco-allemandes après les élections du 26 septembre en Allemagne ».
Les participants experts à la table ronde (virtuelle) étaient :
Evelyne GEBHARDT, députée européenne élue en Allemagne depuis 1994, membre du SPD, parfaitement bilingue puisqu’elle est née et a fait ses études en France
Tobias BÜTOW, secrétaire général de l’OFAJ (Office franco-allemand pour la jeunesse) en Allemagne
Étienne DUBSLAFF, maître de conférences en études germaniques à l’université de Montpellier 3.
Les animateurs étaient Christian DIETZ, directeur de la Maison de l’Europe de Leipzig et Michael STANGE, directeur de la Maison de l’Europe de Nîmes. C’était la première collaboration entre ces deux Maisons de l’Europe, qui ont des objectifs très proches, le dialogue entre Européens en premier, et sont toutes les deux agréées Europe Direct.
Chaque participant à la table ronde s’exprimait dans sa langue naturelle, allemand ou français, avec une traduction simultanée : le public pouvait choisir soit « pas de traduction », soit la traduction en allemand ou en français.
Une cinquantaine de personnes ont suivi cette table ronde, posant des questions par écrit avec transmission instantanée.
Cette organisation complexe a globalement bien fonctionné. Elle s’inscrivait dans la Quinzaine franco-allemande en Occitanie 2021 (3 au 22 octobre) et elle était soutenue par l’OFAJ et par l’association « Allemagne-Occitanie -L’Europe au cœur », organisatrice de la Quinzaine franco-allemande en Occitanie.
Quels ont été les points forts de cette table ronde ?
Tout d’abord un constat : d’une part l’Europe ne figurait pas dans les grands sujets de la campagne électorale des principaux partis, ni dans les premiers sujets d’intérêt des électeurs, qui plaçaient en tête le climat et les choix de société intérieurs.
Cela veut-il dire que l’appartenance de l’Allemagne à l’Union européenne est un fait acquis, à tel point qu’elle est devenue naturelle ? Probablement, soyons optimistes !
Un deuxième constat : aucun des partis extrémistes anti-européens ne figure dans le peloton de tête des résultats, avec tout de même un ancrage de l’AfD (souverainiste et extrême droite) qui persiste dans certains des Länder orientaux de l’Allemagne, notamment Saxe et Thuringe. Les deux plus grands partis, CDU-CSU et SPD, ont beaucoup perdu d’importance en voix : aucun des deux n’atteint 26 %.
Ensuite il faut prendre en compte que les systèmes électoraux sont très différents en France et en Allemagne.
En France le président est élu directement au suffrage universel et les députés sont élus au scrutin uninominal à deux tours, et depuis que le mandat du président est de 5 ans, les députés sont élus quelques semaines seulement après le président. Toutes les conditions sont donc réunies pour qu’une majorité se dégage clairement des élections législatives et que cette majorité soit favorable au président qui vient d’être élu : en quelques semaines il est improbable que l’opinion des électeurs change du tout au tout ! Le système renforce les gagnants et donne peu de représentants aux partis minoritaires.
Le Reichstag à Berlin
En Allemagne le système est totalement différent, avec une certaine complexité. Chaque citoyen vote deux fois en même temps : une fois pour le nom d’un candidat local (dans sa circonscription électorale), qui sera élu à la majorité simple à un seul tour ; une deuxième fois pour une des listes présentées par les partis. Ensuite la répartition de l'intégralité des sièges se fait à la proportionnelle, avec un minimum fixé à 5 % des suffrages exprimés pour avoir des élus.
La répartition des sièges se déroule en trois étapes :
1 - L'ensemble des sièges est réparti en fonction de la proportion des « deuxièmes voix » ;
2 - Les sièges obtenus par un parti sont pourvus en priorité par les candidats ayant obtenu un mandat nominatif de circonscription ;
3 - Les sièges restant à pourvoir pour un parti sont attribués aux candidats inscrits sur la liste du parti, dans l'ordre fixé par ce dernier.
Avec cette procédure un parti peut grâce aux circonscriptions remporter plus de mandats que les secondes voix ne lui en attribuent à la proportionnelle. On parle alors de « mandats supplémentaires ». Le nombre total des députés, normalement fixé à 598 (le double des 299 circonscriptions 598), peut donc être supérieur : il était de 709 dans la précédente législature. Il y a en outre dans les recoins de la loi des exceptions que nous vous épargnons….
Le chancelier n’est pas élu directement au suffrage universel, il est élu par les députés une fois qu’une coalition de gouvernement a été établie.
Retenons que globalement, comme le souligne Étienne Dubslaff, la proportionnelle donne au Bundestag une représentation de l’électorat plus fidèle qu’en France, mais que généralement aucun parti n’a à lui seul la majorité absolue des députés, ce qui oblige à des coalitions entre partis sur la base d’un programme de gouvernement : soit une « grande coalition » (entre les deux principaux partis, SPD et CDU-CSU), soit une coalition entre un des grands partis et un ou plusieurs des partis minoritaires.
Ce système complexe a été voulu après la 2ème guerre mondiale pour éviter la possibilité du retour d’un « homme providentiel », et les Alliés y ont été attentifs. Seuls les 299 députés élus dans les circonscriptions sont élus directement.
« L’amitié et la coopération franco-allemandes se poursuivront … ». A 70 % le public de la table ronde a indiqué en ligne que pour lui les relations franco-allemandes étaient importantes (les quatre partis en tête aux élections ont dit la même chose) et à 71 % que les deux pays devaient jouer un rôle pionnier pour le climat.
Dans les situations de crises de l’UE, le tandem franco-allemand s’est toujours naturellement et très vite reconstitué, un accord franco-allemand est un exemple pour les autres pays de l’UE, même si tous ne suivent pas. A la question « Quelle serait votre première visite à l’étranger si vous étiez élu chancelier ? », bien avant les élections deux des trois principaux candidats en campagne avaient répondu Paris et le troisième Bruxelles. Et le président Macron avait reçu les têtes de listes tant de la CDU-CSU que du SPD.
Pour Tobias Bütow, aucun doute : les échanges par l’OFAJ se poursuivront, après avoir beaucoup souffert depuis 18 mois avec la Covid. Les jeunes de part et d’autre du Rhin sont très sensibles aux enjeux du climat, ils montrent la voie aux moins jeunes. L’OFAJ est une organisation internationale dont la mission, au plein sens de ce mot, est de sensibiliser les jeunes à l’Europe, mais aussi à l’environnement et aux droits de l’homme.
Le traité d’Aix-la-Chapelle d’amitié et de coopération entre l’Allemagne et la France signé le 22 janvier 2019, exactement 56 ans après le traité de l’Élysée qu’il complète et renforce, a accru le budget de l’OFAJ. L’OFAJ a fait cet été un plan jusqu’à fin 2023, avec 10 millions d’€ et le développement des échanges (qui avant la Covid ne touchaient que moins de 25 % des jeunes), avec des thèmes nouveaux comme le développement durable et le sport, et le renforcement des échanges avec d’autres pays : Pologne, Israël, pays du Maghreb, Europe centrale.
Depuis 1963, l’OFAJ a permis à presque 10 millions de jeunes de participer à des échanges (presque 200 000 en année « normale »), avec plus de 8 000 partenaires auxquels il permet d’agir concrètement et « sans lesquels les idées des gouvernements resteraient lettre morte ».
Le résultat des élections ne diminuera donc pas les échanges franco-allemands.
En septembre 2017 le président Macron avait tendu la main à l’Allemagne en lui proposant de donner ensemble des impulsions de réformes dans l’UE : une plus forte intégration des marchés allemand et français, un budget et un ministre des Finances pour la Zone Euro, une réforme de la PAC, aller vers une autonomie stratégique de l’UE par une défense européenne, mieux coordonner la gestion des frontières extérieures, aller vers plus d’autonomie de l’UE en informatique, …
Pour les experts, Angela Merkel n’a pas répondu à ces propositions, d’une part parce que pour certaines d’entre elles l’Allemagne ne partage pas le point de vue de la France (par exemple la défense), d’autre part parce qu’Angela Merkel venait de subir une « semi-défaite » avec une forte chute de son parti et l’entrée de l’AfD au Bundestag. Elle était donc dans un moment de relative faiblesse et ne pouvait pas prendre de grandes initiatives pour son pays.
A la demande d’exprimer trois souhaits pour de nouvelles orientations de la politique européenne du futur gouvernement allemand, Évelyne Gebhardt a répondu :
Que le plan de relance européen Next Generation EU, qui a été poussé par la France avec l’accord de l’Allemagne, soit appliqué pleinement avec des mesures très concrètes, perceptibles directement par les citoyens
Que l’Allemagne et la France trouvent ensemble des réponses aux problèmes du monde, par exemple la situation en Afghanistan
Que l’état de droit soit une priorité pour l’Union européenne et un exemple pour le reste du monde, « On a trop longtemps toléré ce qui se passe en Pologne et en Hongrie, où la constitution a été « tordue » et devrait être modifiée s’il y a un nouveau gouvernement ».
Elle ajoute que pour elle il y a des points où une convergence de vues entre l’Allemagne et la France lui semble absolument impossible : l’énergie nucléaire ou la défense par exemple. Concernant l’énergie, à son avis il faut ensemble trouver comment mieux utiliser les ressources disponibles dans les deux pays, notamment le solaire, « comme cela se fait entre l’Espagne et la France ». Pour le gazoduc Nordstream 2 entre la Russie et l’Allemagne, « les investissements ont été faits et le produit est là, il faut l’utiliser mais il faut faire attention à la mise au point des contrats avec la Russie, c’est l’occasion de réfléchir au futur des relations entre l’UE et la Russie ».
Pour Étienne Dubslaff, il est probable que les trois partis du « feu tricolore » parviendront à un accord de gouvernement, mais chacun a ses particularités et il y aura probablement des points durs : le FDP (libéraux) est très attaché aux équilibres budgétaires et si la France demandait à prolonger au-delà de 2022 la non application du Pacte de stabilité et de croissance (déficit public limité à 3 % du PIB et dette publique limitée à 60 % du PIB), il s’y opposerait fermement. Il remarque que malgré des « tangages » à certains moments, les accords de gouvernement ont toujours résisté en Allemagne, aucun gouvernement n’a « éclaté ».
En conclusion, les experts de la table ronde sont optimistes pour le futur des relations entre l’Allemagne et la France, « qui ont une dimension européenne » et nos amis de la rive droite du Rhin suivent avec une grande attention la préparation de l’élection présidentielle d’avril 2022 en France. La Maison de l’Europe de Leipzig souhaiterait faire en 2022 une table ronde semblable à celle-ci au sujet des résultats de l’élection présidentielle en France et de ses conséquences sur les relations franco-allemandes. Les systèmes de vidéo-conférences permettent d’envisager des évènements qui seraient impossibles autrement, profitons de leurs avantages ! Rendez-vous en mai 2022 sur vos écrans ?
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