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L’unanimité au sein de l’U.E : pourquoi, comment et jusqu’à quand ?

Le fonctionnement de l’Union européenne a été perturbé à plusieurs reprises ces derniers temps par les vetos de la Pologne et de la Hongrie dans les domaines les plus divers ; ces États ayant été montrés du doigt pour leurs entorses aux libertés et privés des fonds du plan de relance européen cherchent à créer un rapport de force qui leur soit favorable.


Cela relance le débat récurrent sur la règle de l’unanimité qui régit encore la prise de décisions au Conseil de l’U.E. dans des domaines importants de l’activité de l’Union.


D’où vient cette règle ?


L’origine de l’unanimité est à rechercher dans le droit international. En effet, un des principes de base de ce droit est l’égalité souveraine des États ; cela signifie que chacun d’entre eux est indépendant et qu’il n’est subordonné à aucun autre État ou à aucun groupe d’États. La souveraineté de chaque pays est limitée seulement par la présence et la souveraineté des autres États. C’est en respectant ce principe que se sont bâties les organisations internationales qui ne sont que des regroupements d’États pour faire des choses ensemble. Dans toutes ces organisations, les questions importantes se décident à l’unanimité (vote formel) ou par consensus (accord plus ou moins tacite en l’absence d’opposition formelle).



En revanche, dans les fédérations, les États fédérés délèguent tout ou partie de leur souveraineté à un organe fédéral. Dans ce cas, les décisions se prennent, selon les cas, à la majorité absolue (moitié des voix plus une au moins), simple (décision ayant reçu le plus de voix par rapport aux autres) ou qualifiée (par exemple les 2/3 ou les ¾ des votants).


Après la Seconde guerre mondiale, les hommes politiques promoteurs de la construction européenne se divisaient en deux camps : d’une part les unionistes voulant une Europe des nations respectueuse des souverainetés, d’autre part les fédéralistes pour lesquels l’impossibilité d’imposer un ordre international aux États-nations était la cause de la guerre.


En 1951, les créateurs de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (C.E.C.A.) avaient prévu un fonctionnement fédéral avec à sa tête une Haute autorité puissante. En 1953, les fédéralistes avaient proposé une Communauté politique européenne (C.P.E.) de nature fédérale qui devait chapeauter la jeune C.E.C.A. et la future Communauté européenne de défense (C.E.D.) mais le rejet de cette dernière par l’Assemblée nationale française en 1954 a enterré pour longtemps la C.P.E. et le fédéralisme.


Certes, chassé par la porte en 1954, il est revenu timidement par la fenêtre lors de l’élaboration des traités de Rome en 1957, préparant les futures Communauté économique européenne (C.E.E.) et Euratom. Il était prévu que certaines décisions puissent être prises à la majorité qualifiée par le Conseil réunissant les ministres des différents États membres des trois Communautés, seul législateur à cette époque. Mais le général de Gaulle y a mis le holà avec la « crise de la chaise vide » (1965) en refusant que la France participe aux réunions du Conseil des ministres tant que l’unanimité ne serait pas rétablie. Un compromis boiteux, dit de Luxembourg (1966), permit de sortir de l’impasse en la maintenant. Elle restera en vigueur jusqu’à l’Acte unique européen (1987) qui, ayant pour objectif d’établir un grand marché unique européen, nécessitait de voter de nombreuses directives d’application dans un temps limité, ce qui était incompatible avec le maintien de l’unanimité.


Par ailleurs, entre temps, le Parlement européen, élu au suffrage universel direct depuis 1979, s’imposait progressivement comme colégislateur des Communautés, aux côtés du Conseil des ministres. Or, le Parlement européen a toujours voté à la majorité !


Progressivement, au fil des différents traités révisant les procédures communautaires (Maastricht 1992, Amsterdam 1997, Nice 2001), le champ de l’unanimité au sein du Conseil s’est restreint. Malgré le rejet en 2005 du projet de Constitution européenne par les peuples de deux pays (France et Pays-Bas), l’extension du vote à la majorité à de nouveaux domaines a été reprise par le traité de Lisbonne (2009).


Source : le taurillon


A l’heure actuelle, l’unanimité est encore de mise dans des domaines très sensibles de la souveraineté des États : la fiscalité, la sécurité sociale et la protection sociale, l’adhésion de nouveaux États membres, la politique étrangère et de sécurité commune, la coopération policière opérationnelle. Cela montre que l’Union européenne est à mi-chemin, certains domaines étant déjà nettement fédéralisés ou plutôt communautarisés (politique commerciale commune, ressources halieutiques, concurrence, monnaie pour les pays ayant adopté l’euro)


Comment va-t-on en sortir ?


Les récents événements ont montré comment un seul État membre pouvait à lui seul bloquer tout le processus de décision européen ; il est donc important d’étendre le vote à la majorité aux derniers domaines encore régis par l’unanimité.


Parmi les gouvernements des pays européens, les attitudes et les postures sont les plus diverses : les eurosceptiques voudraient revenir à l’unanimité dans tous les domaines, les autres ont des positions de circonstance ; cela dépend des sujets abordés et du résultat des dernières élections nationales ! Pour simplifier les États à fiscalité faible sont plutôt pour le maintien de l’unanimité en matière fiscale, de peur que leur avantage comparatif pour attirer les multinationales soit mis à mal par un rehaussement de la fiscalité minimum. Les pays ayant une longue tradition d’activité diplomatique veulent conserver l’unanimité dans le domaine de la politique étrangère commune pour ne pas se faire imposer par des « petits » États des décisions qui iraient à l’encontre de leurs intérêts. Quant au domaine de la défense, les pays ayant une armée importante ne souhaitent pas se voir engager dans des conflits sans enjeux pour eux par une majorité d’États n’ayant que des armées symboliques. Quant à la France, elle n’est pas prête à partager le bouton atomique avec qui que ce soit, ce qui peut se comprendre car une réaction adverse serait dirigée principalement contre elle.


L’apport de la conférence pour l’avenir de l’Europe


Entre avril 2021 et avril 2022, les citoyens européens ont pu s’exprimer sur l’avenir de l’Europe. Les participants à cette Conférence recommandent que « toutes les décisions actuellement prises à l’unanimité devraient, à l’avenir, être adoptées à la majorité qualifiée » avec pour « seules exceptions » les décisions concernant l’adhésion de nouveaux Etats membres ou portant sur les principes fondamentaux de l’U.E. Parmi les domaines qui devraient être décidés à la majorité sont mentionnés la politique étrangère et de sécurité commune, la politique fiscale, « les thèmes définis comme présentant un intérêt européen comme l’environnement ».


Le passage généralisé à la majorité qualifiée au Conseil pourrait se réaliser sans modification des traités en utilisant les clauses passerelles prévues à l’article 48.7 du Traité de l’Union européenne qui permet d’instaurer le vote à la majorité qualifiée « dans un domaine ou dans un cas déterminé ». Mais, cette instauration nécessiterait l’unanimité du Conseil européen et serait soumise ensuite aux parlements nationaux ! Autant dire que ce n’est pas gagné d’avance !


Source : Euractiv

En conclusion


L’abandon de l’unanimité dans tous les domaines suppose un profond changement de nature de l’Union : il faudrait qu’elle devienne une vraie fédération et que nos vieux États-nations deviennent l’équivalent des länder allemands, des cantons suisses, des communautés espagnoles, ou des états des U.S.A., du Canada ou de l’Australie. Le changement serait tellement profond que l’on peut se poser la question de son acceptation par les opinions publiques européennes, à l’heure du regain des partis souverainistes. Il est plus probable que le vote à la majorité s’instillera dans les processus de décision à petite dose au fil des décennies.


Frédéric Bourquin



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