La Cour européenne des droits de l'Homme
Nous avons vu dans la Lettre Europe de novembre 2020 pourquoi et comment avait été élaborée la Convention européenne des droits de l'Homme. Pour la mettre en œuvre, une Cour a été créée :
LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME. Cette Cour n’est pas une inconnue car elle est souvent citée dans les médias comme le recours ultime pour ceux qui s’estiment injustement condamnés et ont épuisé tous les recours de la justice française .
1 - QUAND LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME A-T-ELLE ÉTÉ CRÉÉE ?
Le 21 janvier 1959 la Cour européenne des droits de l'Homme est installée ;
Le 14 novembre 1960 elle rend son premier jugement ;
Le 1er novembre 1998, la Cour devient permanente et la Commission des droits de l'Homme du Conseil de l’Europe est supprimée.
OÙ LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME SIÈGE-T-ELLE ? Au Palais des droits de l'Homme à Strasbourg.
Il NE faut PAS CONFONDRE LES JURIDICTIONS PUREMENT Européennes et celles DE L'ONU installées en Europe!
Quelles sont les juridictions européennes ?
La Cour européenne des droits de l'Homme C.E.D.H. (1959), qui siège à Strasbourg, est élue par l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe.
La Cour de justice de l'Union européenne C.J.U.E. (1952), et le Tribunal (1989), qui siègent à Luxembourg, sont nommés conjointement par les gouvernements des États membres de l'Union européenne.
Par contre sont des ORGANES à compétence Mondiale :
- Le Conseil des droits de l'Homme (2006), installé à Genève, qui est élu par l'Assemblée générale de l'Organisation des Nations Unies (O.N.U.) et n'est pas un tribunal ; il est chargé d'effectuer un Examen périodique universel, c'est-à-dire de vérifier le respect des droits par les États.
- La Cour internationale de justice C.I.J. (1945), sise à La Haye, est élue conjointement par l'Assemblée générale et le Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations Unies (O.N.U.). Son rôle principal est de trancher les différends juridiques entre États (par exemple le tracé de frontières terrestres ou maritimes).
- La Cour pénale internationale C.P.I. (2002), localisée à La Haye, est élue par l'assemblée des États parties au traité de Rome (1998) qui a créé cette Cour. Elle a un lien avec le Conseil de sécurité de l'O.N.U qui peut lui déférer une affaire. Elle est chargée de juger les personnes accusées des crimes de génocide, de guerre, contre l'humanité ou d'agression.
2 - QUI DÉSIGNE LES JUGES DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME ?
- Elle se compose d'un juge par État membre soit 47 juges plus, éventuellement, des juges « ad hoc » (juge non permanent désigné pour une seule affaire) lorsque la formation de jugement ne comporte pas de juge de la nationalité de l’État en cause ; il s'agit simplement d'avoir un juge connaissant le système juridique local car les juges ne représentent pas leur État.
- Ils sont élus par l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe ; chaque État présente 3 candidat(e)s.
- Ils doivent jouir de la plus haute considération morale et réunir les conditions requises pour l'exercice de hautes fonctions judiciaires ou être des jurisconsultes possédant une compétence notoire
- Leur mandat est de 9 ans, non renouvelable et s'achève à l’âge limite de 70 ans
- Un greffe prépare les affaires et communique avec les plaignants.
- La procédure est contradictoire et publique.
- Les langues de travail de la Cour sont le français et l'anglais.
- Les chambres décident à la majorité ; un juge peut joindre à l'arrêt une opinion dissidente.
- Les arrêts de la Cour ont un caractère obligatoire et déclaratoire mais non rétroactif.
- Le Comité des ministres du Conseil de l'Europe est chargé de faire appliquer les arrêts de la Cour par les États parties. Il peut obtenir de la Cour une décision sur le point de savoir si l’État condamné a ou non rempli son obligation en matière d'exécution.
3 - Comment est organisée la Cour ?
Les Comités composés d'un juge unique assisté d'un rapporteur sont chargés du filtrage des requêtes ; ils peuvent les déclarer irrecevables ou les rayer des rôles lorsqu’une affaire ne nécessite pas un plus ample examen.
Les Comités de 3 juges jugent des affaires recevables qui peuvent être tranchées sur la base d'une jurisprudence bien établie.
Les Chambres de 7 juges jugent les questions graves ou pour lesquelles il n’y a pas de jurisprudence bien établie.
La Grande chambre de 17 juges juge les requêtes étatiques ou les renvois à la demande des parties (appel) ou encore suite à dessaisissement d'une chambre.
La Cour plénière (47 juges) élit le président, les vices présidents, les présidents de section, le greffier de section et son adjoint, vote sur l’adoption du règlement.
La Cour accepte une tierce intervention lors de la procédure: un tiers, un autre État que l'État partie, le Commissaire aux droits de l'Homme du Conseil de l'Europe, une O.N.G. ...
4 - QUI PEUT SAISIR LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME ?
Un particulier, un groupe de particuliers, une O.N.G, une personne morale quelle que soit leur nationalité ou un État partie, peuvent saisir la Cour si les droits garantis par la Convention sont violés par un État partie.
Cet État peut être condamné par la Cour à rétablir le requérant dans ses droits et à l'indemniser et, si nécessaire, encouragé à modifier sa législation.
La Cour peut être sollicitée par le Comité des ministres du Conseil de l-Europe ou un État partie pour émettre un avis consultatif.
Quelle est la procédure pour saisir la Cour ?
Il y a trois conditions préalables à remplir:
- Avoir invoqué la violation de la Convention dès le début de la procédure devant les tribunaux nationaux.
- Avoir épuisé toutes les voies de recours nationaux (par exemple appel et, éventuellement, cassation).
- Introduire la requête dans un délai de 6 mois à compter de la dernière décision de la justice nationale.
Les requêtes sont filtrées par un Comité de la Cour et celles qui sont répétitives, insultantes, fantaisistes ou mal fondées sont rejetées.
QUE PEUT-ON OBTENIR DE LA COUR ?
- Des mesures provisoires en cas d'urgence ;
- Une satisfaction équitable ;
- L'arrêt de la violation des droits.
- La réparation des conséquences négatives du jugement attaqué, c'est-à-dire soit des mesures de caractère individuel (par exemple, la réouverture d'une procédure pénale inéquitable) soit des mesures d'intérêt général (par exemple, la modification de la législation nationale).
5 - COMMENT COMPRENDRE LA Convention européenne des droits de l’Homme ET LA JURISPRUDENCE DE LA COUR ?
La Convention est un instrument vivant dont le texte n'est qu'un point de départ pour comprendre les droits et libertés garantis. Le contenu et la portée des droits ont évolué au fil du temps grâce à des protocoles : par exemple, dans les années 50, la suppression de la peine de mort n'était pas soutenue par les opinions publiques et donc par les gouvernements.
La Cour, par sa jurisprudence, applique une interprétation dynamique de la Convention reconnaissant que celle-ci doit être interprétée en tenant compte du contexte actuel.
COMBIEN D'ARRÊTS ONT ÉTÉ RENDUS PAR LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME ?
Quelques statistiques : 21600 arrêts rendus entre 1959 et 2019 dont
- 3532 pour la Turquie ;
- 2501 pour la Russie (adhésion à la Convention le 5/05/1998) ;
- 2396 pour l'Italie ; -- 1434 pour la Roumanie (adhésion le 20/06/1994) ; -- 1304 pour l'Ukraine (adhésion le 11/09/1997) ;
- 1013 pour la France ; …..
- 547 pour le Royaume-Uni ; - 340 pour l'Allemagne ; - 167 pour l'Espagne ; ….- 3 pour Monaco (adhésion le 30/11/2005)
6 - QUELLES SONT LES CONSéQUENCES DES ARRÊTS RENDUS PAR LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME ?
LA FRANCE, LE PAYS DES DROITS DE L'HOMME, EST-ELLE EXEMPLAIRE? Elle a signé la Convention européenne des droits de l'Homme le 4/11/1950 mais l’a ratifiée seulement le 3/05/1974 !
Elle a admis le droit de recours individuel auprès de la Cour seulement le 2/10/1981 et n’a toujours pas ratifié à ce jour le protocole n°12 interdisant toute discrimination !
Combien d'arrêts concernent la France ? 1013 arrêts de 1959 à 2019 dont 736 constatant une violation des droits, dont 284 concernant la durée de la procédure et 272 le droit à un procès équitable
Quelles sont les CONSÉQUENCES DES ARRÊTS SUR LA JURISPRUDENCE FRANÇAISE ?
Les tribunaux français sont les juges « naturels » des violations de la Convention ; la Cour n'est que le dernier recours.
Les plus hautes juridictions françaises (Cour de cassation, Conseil d'État, Conseil constitutionnel) se sont progressivement approprié la jurisprudence de la Cour.
Le pouvoir normatif (gouvernement, parlement) accepte désormais de modifier la législation française lorsqu'elle fait l'objet d'un arrêt défavorable de la Cour à son égard ou à l'égard d'un autre État dans une affaire similaire.
Néanmoins, des dysfonctionnements de la justice française, régulièrement épinglés par la Cour n'ont toujours pas fait l'objet d'améliorations suffisantes : la durée déraisonnable de la détention préventive et des procédures trop longues pour aboutir à un jugement.
Quelques exemples récents de changement de notre législation après arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme :
- 1991 Réforme du respect de la vie privée après la mise sur écoutes téléphoniques d’un couple de retraités.
- 1992 Droit pour les transsexuels de faire modifier l'indication du sexe sur les registres d'état-civil.
- 1993 Les audiences disciplinaires ordinales (par exemple, le Conseil de l'ordre des médecins) sont désormais publiées.
- 2001 Les droits du conjoint survivant et des enfants adultérins sont améliorés.
- 2007 L’esclavage domestique est désormais un crime suite à la situation endurée par une fille togolaise de 14 ans dans une famille parisienne.
- 2011 L’avocat pourra assister à toutes les auditions du mis en cause dès le début de la mesure de garde à vue et l’intéressé sera informé du droit de garder le silence.
- 2013 Le délit d'outrage au chef de l'État est supprimé suite à la condamnation d'un homme pour avoir brandi un écriteau satirique contre le Président de la République.
LA COUR EST SOUVENT SAISIE DE DOSSIERS « CHAUDS »
- 2014 L'affaire de l'interdiction du voile intégral (loi du 11/10/2010) a fait l'objet d'un arrêt balancé de la Cour qui a conclu qu'il n'y avait pas, finalement, de violation de la liberté de religion.
- 2015 : La Cour n'a pas remis en cause l'arrêt du Conseil d’État autorisant l'arrêt de l'alimentation et l'hydratation de Vincent Lambert.
- 2016 Les droits des personnes transgenres sont renforcés.
- 2018 Elle réaffirme le droit à la scolarisation des enfants handicapés.
- 2020 La Cour a accepté d’examiner une requête déposée par des grands-parents contre la France pour son refus de rapatrier une famille de djihadistes détenue en Syrie.
- 2020 La France est condamnée pour violation du droit à un recours effectif pour les détenus, ainsi que de l'interdiction des traitements inhumains ou dégradants et pour négligence dans la protection d'une fillette martyrisée et tuée par ses parents en 2009.
Quelques exemples de mesures prises par les États membres pour mettre leur législation en accord avec la jurisprudence de la Cour ?
• la Belgique a modifié ses lois sur les sans-logis et adopté des mesures visant à interdire toute discrimination contre les enfants nés hors mariage ;
• la Bulgarie a créé un service alternatif aux obligations militaires pour les objecteurs de conscience ;
• le Danemark a étendu le droit de ne pas être membre d’un syndicat : jusque-là l'adhésion était obligatoire pour les salariés ;
• la France, l’Espagne et le Royaume-Uni ont promulgué des lois sur les écoutes téléphoniques ;
• la Lettonie a abrogé des tests de langue lettone, discriminatoires pour les candidats aux élections ; en effet, il existe dans ce pays une forte communauté russophone.
• la Moldavie a reconnu la liberté religieuse ;
• les Pays-Bas ont modifié leur loi sur la détention des patients atteints de maladie mentale ;
• la Roumanie a abrogé des dispositions qui permettaient d’annuler des décisions judiciaires définitives ;
• le Royaume-Uni a interdit les châtiments corporels dans les écoles ;
• la Russie a amélioré la protection sociale des victimes de l’accident nucléaire de Tchernobyl ;
• la Suisse a réformé son organisation judiciaire et ses procédures pénales ;
• la Turquie a aboli la présence de juges militaires dans les cours de sûreté de l’État ;
7 - LE SYSTèME EUROPÉEN DES DROITS DE L'HOMME A-T-IL INFLUENCÉ LE RESTE DU MONDE?
En Amérique (Organisation des États américains O.E.A.), la Commission inter-américaine des droits de l'Homme (créée à Washington en 1959) et la Cour inter-américaine des droits de l'Homme (installée à San José -Costa Rica en 1979) s'appuient sur la Convention américaine des droits de l'Homme.
En Afrique (Organisation de l'unité africaine O.U.A puis Union africaine U.A), la Commission africaine des droits de l'Homme et des peuples (créée à Banjul -Gambie en 1987) et la Cour africaine des droits de l'Homme et des peuples (installée à Arusha -Tanzanie en1998) appliquent la Charte africaine des droits de l'Homme et des peuples.
Dans le Monde arabe (Ligue arabe), la Commission arabe pour les droits de l'Homme (créée en 2009) et la Cour arabe des droits de l'Homme (installée à Manama -Bahreïn) mettent en œuvre la Charte arabe des droits de l'Homme, dont une première version a été adoptée en 1994, mais n’est jamais entrée en vigueur ; elle a été remaniée en 2004 et est entrée en vigueur en 2008 ; son statut a été élaboré en 2014 mais n'est toujours pas entré en vigueur.
8 - Quels sont les défis que doit affronter la Cour ?
L'afflux de requêtes risque de noyer la Cour.
- 59 800 requêtes sont pendantes au 31/12/2019 (dont 15 050 pour la Russie, 9 250 pour la Turquie, 8 850 pour l'Ukraine, 7 900 pour la Roumanie, 509 pour la France).
- en 2019, 44 500 requêtes nouvelles ont été enregistrées et 40 667 requêtes ont été clôturées.
- 38 480 requêtes ont été déclarées irrecevables ou rayées du rôle en 2019.
- 884 arrêts ont été rendus en 2019 (dont 19 pour la France)
La durée anormale de la procédure, que la Cour condamne chez les États membres, peut maintenant lui être reprochée.
Certains États, gouvernés par des majorités eurosceptiques, sont réticents à appliquer les décisions de la Cour et à modifier leur législation. Quels sont leurs arguments ?
- Il s'agit de juges « hors sol », non élus et qui, par leurs arrêts, remettent en cause la souveraineté des États.
- La Cour interprète d'une manière extensive la Convention et accorde trop souvent satisfaction aux minorités, aux immigrés, aux délinquants et aux terroristes !
- Rien ne doit faire barrage à la souveraineté populaire, magnifiée par le référendum.
- Le droit national est suffisamment protecteur, « nous n'avons pas de leçons à recevoir d'une Cour supranationale ; la constitution nationale prime sur les traités internationaux dont fait partie la Convention ».
Que répondre à ces détracteurs ?
- La Convention est appliquée en premier lieu par les juges nationaux ; seuls quelques cas emblématiques remontent à la Cour européenne des droits de l’Homme.
- Les juges de la Cour sont proposés par les États et élus par l'Assemblée parlementaire, elle-même élue par les parlements nationaux.
- La Convention et ses protocoles doivent être ratifiés par les États membres pour entrer en vigueur ; un État peut émettre des réserves sur certains points au moment de la ratification.
Face aux critiques, la Cour avance sur des œufs et paraît, dans certaines affaires, trop prudente ; elle accorde une marge d'appréciation nationale, acceptant de ne pas traiter exactement de la même façon les affaires selon les États de provenance.
Néanmoins, la Cour reste le fragile rempart contre les tentatives de certains de discréditer et de saper l’État de droit qui est un des fondements de notre civilisation. Ce rempart de papier ne tiendra qu'avec le soutien actif des citoyens car l'expérience de l'entre-deux guerres mondiales montre que les institutions qui paraissent les plus solides peuvent être balayées en peu de temps par des dirigeants charismatiques et mal intentionnés.
* Droits de l'Homme avec une majuscule est synonyme de droits humains, c'est à dire concernant les deux sexes !
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