LES CORONABONDS, QU'EST-CE QUE C'EST ?
Face à l’ampleur et à l’urgence de la crise du coronavirus, l’idée d’émettre des obligations paneuropéennes, permettant de mutualiser les dettes des pays membres de la zone euro, ressurgit. Un article de "La Tribune" du 24 mars 2020 fait le point sur ce mécanisme.
Un néologisme a fait son apparition dans la presse et sur les réseaux sociaux : les « coronabonds ». Il a été employé par Giuseppe Conte, le chef du gouvernement italien: le 14 mars, lors d’un sommet européen en visioconférence, il a exprimé à ses homologues l’urgence d’une réponse commune face au tsunami économique et social provoqué par la crise du coronavirus. Parmi les instruments possibles, Giuseppe Conte a suggéré la création de « coronabonds », une catégorie particulière d’obligations paneuropéennes (ou eurobonds) permettant de répondre à la crise économique engendrée par l’épidémie du Covid-19.
Également soutenue par Paris, cette idée n’aurait pas été rejetée d’emblée par l’Allemagne, Angela Merkel a promis de « continuer à discuter » du sujet. Elle n’est pas écartée non plus par la Commission européenne: questionnée par l’hebdo allemand der Spiegel, sa présidente Ursula von der Leyen n’a pas exclu cette possibilité, « Nous examinons tout. Tout ce qui est utile dans cette crise sera utilisé ».
Si elle était acceptée, cette proposition briserait un tabou dans l’Union européenne. Comment fonctionne un eurobond ? Cette idée est-elle nouvelle ? Quels en sont les avantages ? Quid des arguments de ses détracteurs ? Les coronabonds ont-ils une chance de voir le jour ? Dans quelles conditions ? Éléments de réponse.
Qu’est-ce qu’un eurobond ?
Pour comprendre le fonctionnement d’une obligation européenne, il faut comprendre comment les États financent leur déficit. Actuellement, chaque État de la zone euro émet sur les marchés des obligations (des titres de dette auxquels peuvent souscrire des investisseurs publics ou privés: compagnies d’assurance, banques, fonds d’investissement) libellées en euros, mais avec des garanties nationales. Un eurobond serait, lui, émis au nom de l’Union européenne et non plus au nom des différents gouvernements nationaux. Autrement dit, il s’agirait d’emprunts émis en commun sur les marchés par les pays de la zone euro.
Comment fonctionne-t-il ?
Une structure ad hoc émet une dette au nom de tous les États européens. Ensuite, dans un système de mutualisation complète, un mécanisme commun permet une allocation des fonds levés vers les différents pays de la zone euro. Le taux d’intérêt serait une moyenne pondérée suivant les solidités financières des différents États. « De quoi rassurer les marchés en atténuant les difficultés que rencontre un pays qui se voit allouer les ressources sur le risque supporté par l’investisseur, les autres États se portant garants », précise Laurent Quignon (BNP Paribas).
Quel avantage présente-t-il ?
Le principal avantage est de mutualiser la dette et d’empêcher la spéculation sur les États en difficulté, dont les taux d’intérêt des obligations nationales sont beaucoup plus élevés.
Par exemple, en Italie, où le taux d’endettement a grimpé à 136 % du PIB fin 2019, le taux d’intérêt des obligations à dix ans se situe à 1,69 % — après un maximum récent de 2,40 %. Tandis que l’Allemagne, qui s’emploie depuis dix ans à ramener son endettement sous la barre des 60 % de son PIB (une des conditions du pacte financier de la zone euro), affiche des taux d’intérêt négatifs, à -0,39 %. Les marchés sont très discriminants entre les pays présentant des déficits importants et l’Allemagne, considérée comme le point de référence. L’arbitrage des investisseurs obligataires en faveur de la dette allemande au détriment des pays jugés plus risqués conduit à élargir encore le spread [écart de taux d’intérêt par rapport à l’emprunt d’État allemand] renchérit encore le financement des pays jugés plus risqués.
« Il s’agirait d’utiliser la puissance collective pour émettre des obligations communes en bénéficiant de la bonne note de la zone euro attribuée par les agences de notation », complète Alexandre Baradez, analyste chez IG France.
L’idée d’emprunts communs à l’échelle européenne est-elle nouvelle ?
L’idée n’est pas nouvelle, mais il n’y a jamais eu de véritable instrument de dette mutualisée entre les États européens. Après la crise des subprimes en 2008, la France et l’Italie avaient plaidé pour la création d’obligations européennes, qui n’avaient pas vu le jour en raison d’une farouche opposition de plusieurs pays, dont l’Allemagne et les Pays-Bas.
Pourquoi une telle réticence ?
Le principal écueil évoqué par l’Allemagne et les Pays-Bas était "l’aléa moral" « Les pays qui, en l’absence de mécanisme de mutualisation, devraient emprunter à taux élevé, bénéficieraient avec un tel dispositif d’un coût de financement plus bas, trop faible par rapport aux risques qu’ils présentent. Les plus orthodoxes, en Allemagne ou aux Pays-Bas, redoutaient un certain laxisme budgétaire », explique Laurent Quignon. Vient s’ajouter un obstacle politique, car « un tel mécanisme implique des transferts budgétaires d’États qui dégagent des excédents vers des pays qui ont des déficits ».
La création d’eurobonds spécifiquement dédiés à la relance de l’activité affectée par le coronavirus est-elle plus probable ?
Avec l’ampleur de la crise et à l’urgence, la création d’eurobonds semble bien plus probable aujourd’hui que douze ans auparavant. « L’urgence peut être un élément favorable à la mise en place d’un tel dispositif. Le risque derrière la crise du coronavirus est une crise de la dette souveraine (= garantie par l'Etat) dans certains pays. Les responsables politiques de la zone euro en ont conscience et veulent absolument éviter ce genre d’enchaînement », relève Laurent Quignon. « Aujourd’hui, l’Allemagne n’est pas farouchement opposée à ce type de solution, en tout cas moins qu’en 2008. Mais il faut rester prudent, car les oppositions à l’époque étaient assez marquées ». Surtout, les États comprennent que les graves conséquences de la crise du coronavirus en Italie peuvent avoir d’importantes répercussions sur leur propre économie. «Aujourd’hui, les pays sont face à un choc mondial. Il n’est plus question de bons ou de mauvais élèves », abonde Alexandre Baradez. « Si chaque pays répond de manière non coordonnée, il y a un risque de concurrence au sein même de la zone euro entre ceux qui ont la capacité de réagir, comme l’Allemagne, et ceux qui peuvent moins le faire, comme l’Italie ».
Dans quelles conditions ?
Pour que l’Allemagne soit favorable à l’utilisation de cet instrument, il faudrait que les fonds alloués soient circonscrits aux dépenses liées aux conséquences du coronavirus, même si ce périmètre pourrait être assez large. La durée devra également être limitée, quelques trimestres tout au plus, avant de repartir sur d’autres bases.
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