Les travailleurs détachés détruisent nos emplois ! Vraiment ?
Le « plombier polonais », ça nous ramène à 2003-2004, quand les souverainistes tentaient d’effrayer les citoyens français en prédisant (sans y croire eux-mêmes) un déferlement de travailleurs d’autres pays européens sur une France réduite au chômage… Dans leurs discours le projet de directive Bolkestein sur la libre circulation des services ne pouvait que ruiner notre pays, et pour mieux forcer le trait Bolkestein (néerlandais) était prononcé comme Frankenstein !
Rien de cela ne s’est produit et les règles européennes sur les travailleurs détachés ont garanti la libre circulation des travailleurs en Europe tout en interdisant l’exploitation de ces travailleurs par des employeurs avides de profits.
La règle la plus importante est qu’un travailleur détaché par une entreprise d’un pays européen A dans un autre pays européen B ne peut l’être que temporairement (maximum 12 mois, renouvelable une fois) et que pendant son détachement il a les mêmes conditions salariales qu’un travailleur du pays B faisant le même travail : salaire, temps de travail, heures supplémentaires, congés payés. A trail égal, salaire égal. En revanche, le travailleur détaché reste affilié aux organismes de sécurité sociale du pays de son entreprise, le pays A. Si les cotisations du pays A sont inférieures à celles du pays B, il y a un gain pour l’employeur du pays A. Ce gain est donc très limité, d’autant plus que l’employeur doit aussi payer les frais liés au détachement, notamment les frais de déplacement et d’hébergement.
Les travailleurs détachés d’autres pays européens représentent en France moins de 2 % de la population active, avec des secteurs où cette part est nettement plus élevée, comme l’agriculture ou le BTP. Les restrictions à la circulation entre pays européens en 2020 et 2021 dues au Covid 19 ont d’ailleurs bien fait apparaître que ces travailleurs étaient absolument nécessaires à ces secteurs.
Bien sûr il y a des abus, comme dans bien d’autres domaines : le problème, ce ne sont pas les règles européennes, mais leur contournement, la fraude ou leur non-respect.
Quand un travailleur détaché en France est payé moins que le SMIC, c’est de la fraude. Quand l’employeur qui détache un travailleur ne respecte pas les règles sur le temps de travail, c’est de la fraude. Quand un travailleur détaché est hébergé dans des conditions déplorables par son employeur, avec un loyer exorbitant retenu sur son salaire, c’est illégal.
Les services de l’inspection du travail ne restent pas les bras croisés devant ces abus.
Très récemment l’entreprise espagnole Terra Fecundis a été assignée devant un tribunal correctionnel pour fraude au travail détaché et « marchandage de main-d’œuvre en bande organisée » (non paiement d’heures travaillées, non majoration sur des heures supplémentaires, dépassement du temps de travail maximum,…). En outre, l’entreprise est accusée d’être faussement espagnole : elle envoie chaque année en France plusieurs milliers de travailleurs agricoles (souvent d’origine sud-américaine mais ayant soit la nationalité espagnole soit un permis de travail en Espagne) et c’est en France qu’elle réaliserait l’essentiel de son chiffre d’affaires ; elle aurait donc dû déclarer un établissement stable en France puisqu’elle y exercerait « une activité stable, permanente et continue ». Le parquet a requis 5 ans de prison, dont 4 avec sursis, contre trois dirigeants de Terra Fecundis. L’URSSAF est partie civile dans ce procès, puisque Terra Fecundis aurait frauduleusement échappé au paiement de cotisations sociales en France : le préjudice est évalué à 80 millions d’€, plus 30 millions d’intérêts de retard. D’autres procès sont prévus contre la même entreprise, dont un au tribunal de Nîmes.
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