Politique agricole commune : souplesse et simplifications ou recul des ambitions environnementales ?
Il y a quelques semaines, des agriculteurs bloquaient des routes et manifestaient, en France et dans plusieurs pays d’Europe, avec des revendications dont un certain nombre visaient la politique agricole commune de l’UE (la PAC), ses conditions environnementales ou son application par les États membres de l’UE : pour la France, certaines surtranspositions des conditions de la PAC et des retards ou complexités pour le versement des aides européennes.
La Commission européenne a réagi rapidement en proposant dès le 15 mars un allègement des règles environnementales encadrant la PAC.

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Assouplir les conditions “vertes”.
Pour toucher les aides de la PAC, les agriculteurs doivent respecter une série d’exigences environnementales, les BCAE (pour “bonnes conditions agricoles et environnementales”). Parmi elles : l’entretien de bandes tampons le long des cours d’eau, la rotation des cultures ou encore le maintien de prairies permanentes. Ce sont ces fameuses conditions “vertes” que la Commission a récemment proposé d’assouplir.
Mi-février, une exemption partielle aux obligations de mise en jachère d’une partie (4%) des terres cultivables avait déjà été renouvelée ; désormais, l’exécutif européen propose de supprimer cette obligation, avec pour les agriculteurs qui souhaitent maintenir une partie de leurs terres arables en jachère une contrepartie sous forme d’une aide financière supplémentaire au titre des écorégimes.
Autre condition allégée dans la proposition de la Commission : la rotation des cultures sur 35 % des terres arables. Les États membres pourront décider de la supprimer au profit d’une simple “diversification” des cultures.
Enfin, la Commission prévoit d’exempter les petites exploitations, de moins de 10 hectares, des contrôles liées aux conditions environnementales. Une exemption qui pour l’ensemble de l’UE concerne 65 % des bénéficiaires de la PAC, représentant seulement 11 % des subventions européennes au titre de la PAC.
Les 27 ministres de l’agriculture réunis en Conseil de l’UE le 26 mars ont entériné ces changements. Un accord particulièrement rapide qui indique l'urgence de la situation. Il faudra cependant trouver un accord avec le Parlement européen, avec des délais serrés car la fin du mandat des députés européens approche à grands pas.
Les ministres de l’agriculture des États membres de l'UE ont également commencé à réfléchir à des solutions européennes pour améliorer les revenus des agriculteurs. A court terme, la Commission propose déjà un observatoire des prix dans le secteur agroalimentaire.
Autre sujet dans le viseur des agriculteurs : la suppression des barrières douanières avec l'Ukraine depuis juin 2022.
Destinée à soutenir le pays depuis l'invasion russe, cette mesure est accusée de provoquer une concurrence déloyale pour les paysans européens, qui ne peuvent pas rivaliser avec les faibles coûts de production ukrainiens (on a beaucoup parlé en France des œufs, des volailles, du sucre et des céréales en provenance d’Ukraine).
Le 27 mars les États membres ont durci le plafond des importations agricoles en provenance d'Ukraine dont ils étaient déjà convenus une semaine plus tôt. Sans toutefois inclure le blé et l'orge dans la liste des produits concernés, ce que demandaient la France, la Pologne ou encore la Hongrie.
Enfin les agriculteurs s’opposent à certains accords de libre-échange, craignant une concurrence faussée par des règles différentes dans ces pays extérieurs et exigeant des « clauses miroirs » très strictes et contrôlées sur les importations agricoles de ces pays extérieurs à l’UE. Une clause miroir est l’application aux importations des mêmes exigences environnementales ou de bien-être des animaux d’élevage que celles appliquées aux productions des agriculteurs de l’UE.
Actuellement il s’agit dans ce domaine de la signature en projet d’un accord (que la France refuse d’ailleurs) avec le Mercosur (alliance commerciale de pays d’Amérique du Sud), ou de la mise en vigueur complète de l’accord avec le Canada signé en 2016 et partiellement en vigueur depuis septembre 2017.
L’agriculture, qui a été un des premiers piliers de la politique commune européenne, est ainsi remise aux premiers rangs des préoccupations des responsables européens. Est-ce pour autant un recul des ambitions environnementales du Pacte vert européen ?
Les agriculteurs sont bien conscients de l’importance cruciale de la protection de l’environnement : d’une part ils subissent de plein fouet les conséquences du réchauffement de l’atmosphère sur leur activité, d’autre part leur travail concerne une très grande proportion des sols et exerce donc une forte influence sur l’environnement, notamment la biodiversité.
Cependant ils estiment que leur part dans le coût des mesures de protection de l’environnement ne doit pas pour autant être disproportionnée par rapport à celle d’autres composantes de la population, alors qu’ils ne représentent qu’un faible pourcentage de la population active (1,5 % pour la France, par exemple).
Donc oui au Pacte vert, mais le coût doit en être mieux partagé et tant que les agriculteurs trouveront leur part excessive ils demanderont des assouplissements ou une plus grande progressivité dans les mesures de ce Pacte.
De même les agriculteurs européens sont dans leur très grande majorité favorables au soutien européen à l’Ukraine, mais ils veulent que leur part dans ce soutien ne soit pas excessive et mette en péril leurs exploitations.
Ce sont ces équilibres délicats qu’ont à gérer les responsables politiques, tant européens que nationaux, en évitant de dresser des catégories d’activités ou d’intérêts les unes contre les autres.
Jean-Jacques SMEDTS
Source principale d’information : touteleurope.eu .
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