Pologne, vers la fin d’un régime « illibéral »
Une dégradation progressive des relations Pologne/UE au fils des ans
Après son entrée dans l’UE en 2004, la Pologne s’affirme comme un acteur important en Europe.
Depuis la victoire du parti Droit et Justice, ouvertement eurosceptique, aux élections législatives de novembre 2015, le pays entretient des relations difficiles avec les institutions européennes. Après l’entrée en vigueur de deux lois controversées portant atteinte à l’indépendance des médias et de la justice, le pays fait l’objet, depuis 2017, de plusieurs procédures d’infractions de la part de la Commission européenne.
La question de la primauté du droit européen est également une source de conflit. Le 7 octobre 2021, le tribunal constitutionnel polonais affirme dans un arrêt que certains articles des traités européens sont incompatibles avec la Constitution nationale, alors que la Cour de justice de l’Union conteste la compatibilité de la réforme de la justice dans le pays avec le droit de l’UE.
La Commission refuse alors de valider le plan de relance polonais, au motif que la Pologne n’a pas mis en œuvre les recommandations européennes visant à garantir l’indépendance de la justice et l’efficacité des mécanismes de lutte contre la corruption, gelant ainsi l’octroi des sommes allouées.
La Pologne a également refusé de coopérer dans la gestion de la crise des migrants de 2015, le pays n’a en effet relocalisé aucun migrant sur son territoire depuis l’Italie et la Grèce. Sa position anti LGBT est une des pires du continent. Des villes dirigées par le PIS s’étaient déclarées « villes libérées de l’idéologie LGBT ». Le droit à l’avortement est réduit à sa plus simple expression en Pologne avec une interdiction quasi générale sauf rares exceptions.
Revirement de situation
Le 15 octobre, l’opposition menée par l’ancien président du Conseil européen (2014-2019), Donald Tusk, remporte les élections législatives :
Bien que le parti Droit et Justice (PiS) mené par le Premier ministre sortant Mateusz Morawieck soit arrivé premier en termes de votes, les trois principaux partis d’opposition obtiennent la majorité des sièges et peuvent ainsi former une nouvelle coalition gouvernementale. La Coalition civique (KO), liste centriste et pro-européenne menée par l’ancien Premier ministre Donald Tusk, récolte 30,7 % des voix, 14,4 % pour Troisième voie (centristes) et 8,6 % pour La Gauche (Lewica). En cumulé, ces trois listes d’opposition dépassent la barre des 50 % de suffrages. Elles devraient disposer au total de 248 sièges sur les 460 à la Diète, la chambre basse du Parlement polonais. Une majorité parlementaire qui pourra alors voter sa confiance à cette future coalition gouvernementale.
Cette dernière pourra aussi profiter d’une majorité au Sénat, chambre haute du Parlement polonais. Les élections sénatoriales avaient lieu le même jour, et les partis d’opposition au PiS ont raflé 66 des 100 sièges que compte l’assemblée. Une double majorité donc, qui rend impossible le maintien au pouvoir des ultraconservateurs. Le taux de participation, historiquement haut, a atteint 74,38 %.
“Je n’ai jamais été aussi heureux dans ma vie d’obtenir une deuxième place. La Pologne a gagné, la démocratie a gagné, nous les avons écartés du pouvoir”, a ainsi lancé Donald.
Ces élections marquent un tournant dans les relations entre l’UE et le pays. Les résultats des élections polonaises ont été accueillis avec soulagement dans les institutions européennes et les chancelleries, ils font naître l’espoir de voir la Pologne revenir dans le consensus européen.
Crédits Conseil européen
Donald Tusk s’est rendu à Bruxelles dès le 25 octobre et y a rencontré Ursula von der Leyen. Il s’agissait certes d’une visite informelle puisqu’il n’est que le “chef de l’opposition”, pressenti pour bientôt devenir Premier ministre mais il espère débloquer rapidement les fonds du plan de relance destinés à son pays et tient à replacer ce dernier au cœur du projet européen.
Depuis juin 2022, la Pologne est éligible à 35,4 milliards d’euros de fonds de relance post-Covid-19 de l’Union européenne. Mais cette somme est gelée par la Commission en raison du différend en cours sur l’état de droit et l’indépendance de la justice. Ce différend bloque également l’accès aux 76,5 milliards d’euros de fonds de cohésion destinés à élever le niveau de vie dans les régions les plus pauvres d’Europe.
Donald Tusk a annoncé des réformes pour débloquer ces fonds : application des arrêts de la Cour de justice de l’UE, adhésion au parquet européen, séparation des portefeuilles de ministre de la Justice et de procureur général.
Mais les choses pourraient trainer en longueur :
Le chef d’Etat Andrej Duda, membre du PiS, en poste jusqu’en 2025, possède un droit de véto sur les actes législatifs, pouvant bloquer en particulier la réforme de la justice. C’est également à lui d’organiser la transition entre les gouvernements : il pourrait faire durer la procédure jusqu’en décembre.
Isabelle ROUSSY
Opmerkingen