Protégeons NAVALNY !
Le 7 décembre 2020, le Conseil des ministres des affaires étrangères de l’UE (1), dans le cadre de la Politique Étrangère et de Sécurité Commune, a adopté une décision «concernant des mesures restrictives en réaction aux graves violations des droits de l’homme et aux graves atteintes à ces droits». Ce régime mondial de sanctions en matière de droits de l’homme au niveau de l’Union est inspiré de la loi américaine « Magnitski », voulue par le président Obama en 2012, qui visait à appliquer des sanctions financières et des interdictions de visa contre les fonctionnaires russes suspectés d'être impliqués dans le décès de l'avocat Sergueï Magnitski, symbole de la lutte contre la corruption du système politique russe.
Il s’agit donc d’élargir l’éventail des sanctions que peut prendre l’Union européenne contre des personnes physiques ou morales (dont les États) portant atteinte aux droits de l’homme, par exemple la Russie pour le traitement infligé à l’opposant Alexeï Navalny.
Évidemment, en tant que Maison de l’Europe nous ne pouvons qu’être favorables à un outil juridique qui confère une compétence mondiale aux institutions européennes pour pouvoir juger et sanctionner des personnalités ou des entités suspectées, de près ou de loin, de violer les droits de l’homme. La majorité des députés européens ont d’ailleurs affirmé leur soutien à cet outil.
Selon Julia Friedlander, chargée de mission au Conseil atlantique (2) : « Cela montre que la boîte à outils de l’UE contient désormais une arme supplémentaire. Ce fait est important pour l’administration Biden, car l’UE pourra montrer qu’elle fait désormais partie des acteurs mondiaux, et que les États d’Amérique du nord assument une partie de cette responsabilité supplémentaire. »
Mais à titre personnel, je suis gêné par quelques points de cette décision, aux plans tant théorique que pratique :
Pourquoi ce texte n’a-t-il pas été soumis au Parlement européen au moins pour avis ?
Pourquoi, contrairement aux lois américaine, canadienne ou anglaise, a-t-on supprimé la corruption de la liste des faits condamnables ?
Ne sommes-nous pas en contradiction avec les droits fondamentaux de la défense (3), car à aucun moment l’UE ne doit officiellement questionner les intéressés ?
Comment les États peuvent-ils être instructeurs du dossier et juges en même temps ?
L’unanimité des États membres de l’UE exigée pour la prise de sanctions ne les rend-elle pas ces décisions de sanctions illusoires ou au moins très affaiblies ?
La notion d’outil juridique visant à des sanctions, sans appel ni système de défense organisé vis-à-vis de personnes quelles soient morales ou physiques, est-elle justifiée vis-à-vis du Conseil de l’Europe ?
Personne ne peut nier la volonté de bien faire de ce texte, mais comme souvent, la complexité organisationnelle de l’UE fait que des textes fondamentaux comme celui-ci ne sont toujours pas présentés et discutés publiquement devant le Parlement européen. Quel dommage !
Charles-Antoine Roussy, président de la Maison de l’Europe de Nîmes.
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(1) La République de Macédoine du Nord, le Monténégro, la Serbie et l'Albanie, pays candidats à l’UE, la Bosnie-Herzégovine, pays du processus de stabilisation et d'association et candidat potentiel, et la Norvège, pays de l'AELE membre de l'Espace économique européen, ainsi que l'Ukraine, se rallient à la présente déclaration.
(2) Think tank (cercle de réflexion et d’idées) créé en 1961 à Washington pour encourager la coopération entre l’Amérique du nord et l’Europe.
(3) Ces points vont apparemment à l’encontre de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, qui précise que le droit à un tribunal indépendant et impartial devait être respecté et que la présomption d’innocence est un droit fondamental.
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