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Qu’apporte la directive européenne de protection temporaire aux réfugiés ukrainiens ?

La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a déclaré : « L’Europe se tient aux côtés de ceux qui ont besoin d'une protection. Toute personne qui fuit les bombes de Poutine est la bienvenue en Europe. Nous fournirons une protection à ceux qui cherchent un refuge et nous aiderons ceux qui cherchent à rentrer chez eux en toute sécurité. »

source : vie-publique.fr


Dès les premiers jours de l’invasion, une fois la sidération passée, il a été clair que c’est l’ensemble des pays européens, y compris des non-membres de l’UE comme le Royaume-Uni et la Suisse qui allaient se mobiliser pour offrir aux millions d’Ukrainiens fuyant leur pays un premier refuge. Les populations ukrainiennes ne laissaient d’ailleurs pas d’autre choix, se pressant en masse aux frontières extérieures de leur pays, dans un de ces grands mouvements de foules terrifiées tels qu’on les a connus entre le Cambodge et la Thaïlande en 1979, entre la Macédoine du Nord et le Kossovo en 1999 et, plus près de nous, dans les Balkans ou aux frontières de la Syrie.

Or, voici que devant la soudaineté et l’ampleur d’une situation que personne n’avait vraiment imaginée, l’Europe invente une réponse adaptée. Et elle le fait sans atermoiements ni discussions interminables, comme on peut parfois les déplorer lorsque l’urgence ne l’exige pas. Justement, il y avait urgence, et il fallait répondre tout de suite. L’Europe l’a fait, le 3 mars, une semaine à peine après l’invasion de l’Ukraine.

Il a tout d’abord été dit qu’il s’agissait de dispositions dérogatoires, appliquées spécifiquement au cas des Ukrainiens fuyant la guerre. Vérification faite, les mesures proposées par la Commission et immédiatement adoptées par le Conseil le 3 mars sont à la fois beaucoup plus simples et beaucoup plus ambitieuses. Elles sont un parfait reflet d’un certain fonctionnement de l’Union européenne, avec ses failles et ses vertus. En effet, il s’agit en réalité d’une directive adoptée le 20 juillet 2001 (pour être précis : la directive CE/55/2001) et jamais utilisée depuis.

Les deux points les plus intéressants à souligner à ce sujet sont les suivants.

D’abord, il faut rappeler que cette directive a été adoptée après la guerre du Kosovo de 1999, qui a abouti à l’indépendance de ce pays, jusque-là province de la Serbie. Elle a été adoptée sous un intitulé qui lui est resté, à savoir celui de protection temporaire. C’est en effet très exactement l’objectif qu’elle poursuit, à savoir : assurer une protection temporaire en cas d’afflux massif de ressortissants étrangers contraints de quitter leur pays. Or les discussions traînaient déjà depuis plusieurs années, la question avait été soulevée au cours des guerres de l’ex-Yougoslavie, mais sans qu’aucun texte aboutisse. L’expulsion de centaines de milliers de Kosovars de leur pays par l’armée serbe (yougoslave à l’époque) a été si brutale et si soudaine, presque autant que celle qui pousse aujourd’hui les Ukrainiens à l’exode, que le Conseil ne pouvait faire moins qu’aboutir à un accord pour le cas où une telle situation se reproduirait. Ce qui fut fait, sous la forme de cette directive, restée depuis lettre morte.

Lettre morte ? Pas tout à fait, et c’est le deuxième point qui mérite d’être expliqué. En effet, lorsque des migrants ont commencé à affluer par les mers, avant même le printemps arabe et les évènements de Syrie, l’Italie et Malte, qui se trouvaient en première ligne, ont demandé que la directive 55/2001 soit activée. Nous étions en 2011. Or la Commission (alors présidée par Barroso) n’a pas souhaité donner suite à cette demande, et le Conseil n‘a manifestement pas jugé utile de la pousser dans ses retranchements. Cela peut paraître choquant aujourd’hui, mais les raisons invoquées par la Commission pouvaient s’entendre : il s’agissait alors de mettre sur pied un véritable Régime d’asile européen commun (RAEC), qui devait, en voyant le jour, inclure les dispositions de la directive « protection temporaire ».

Objection, donc, relativement louable, d’autant que ce RAEC connaissait déjà un début de réalisation. D’abord à travers la création de l’EASO (Bureau européen de Soutien à l’Asile), une agence basée à Malte qui devait, par son assistance technique, faire converger les systèmes de traitement des demandes d’asile des différents États-membres. Puis par la mise en place d’un Fonds spécifique dit « Asile, Migration et Intégration », doté de plusieurs centaines de millions d’euros, qui devait faire en sorte que ce RAEC ne soit pas qu’un vœu pieux.



Ensuite ? Ensuite, comme on sait que les choses en Europe vont à la fois très vite et très lentement, ce fut la pitoyable procession de dizaines de milliers de réfugiés syriens et moyen-orientaux déferlant à travers les Balkans, et la tentative louable mais vaine de Jean-Claude Juncker, nouveau président de la Commission élu en 2014, de faire appliquer une des mesures de la directive 55/2001 sans laquelle elle perdait tout son sens, à savoir : « assurer un équilibre entre les efforts consentis par les États membres pour accueillir ces personnes et supporter les conséquences de cet accueil ». On se souvient que malgré l’attitude honorable d’Angela Merkel, cet équilibre ne put jamais être atteint.

Et les choses sont alors restées en l’état jusqu’à ce qu’Ursula von der Leyen succède à Juncker et relance une nouvelle fois, avec l’énergie et le volontarisme qu’on lui reconnaît désormais, l’idée du RAEC. Cette fois, l’impulsion prit la forme du Pacte européen sur l'immigration et l'asile, adopté par le Conseil le 23 septembre 2020, et qui devait déboucher sur un paquet législatif reprenant, amplifiant et consolidant tous les acquis précédents en matière d’asile et d’immigration. C’était, en quelque sorte, la dernière ligne droite, même si elle promettait d’être longue : du moins pouvait-on augurer de ce sur quoi, après des débats à coup sûr houleux, elle déboucherait un jour.

Et voici que Poutine envoie son armée envahir l’Ukraine. Cette fois, il n’est plus temps de tergiverser : il faut appliquer immédiatement la directive 55/2001, seul moyen de montrer à la fois la solidarité qui s’impose envers une population martyre et de prouver à Poutine qu’en défiant l’Europe, il la renforce.

C’est pourquoi, à ces millions d’Ukrainiens qui, au mieux doivent quitter leur province envahie (et dans ce cas on parle de personnes déplacées, dont les besoins devront aussi, tôt ou tard, être pris en charge) ou, au pire se réfugient à l’étranger, on applique immédiatement les dispositions de la directive 55/2001 : droit à une protection complète, avec accès aux soins médicaux et aux aides sociales, accès à l’éducation et à la formation pour les adultes et les enfants, et bien sûr droit à être hébergés et nourris et, surtout, c’est cela qui est le plus remarquable, le droit d’occuper un emploi.


Par la suite, ceux qui le souhaitent pourront demander l’asile politique, mais on sait que ce n’est pas le souhait le plus souvent exprimé : tous ces gens veulent rentrer chez eux dès que ce sera possible.

Voilà donc des personnes, des familles, plus exactement des familles incomplètes -puisque, on le sait, beaucoup d’hommes sont restés en Ukraine pour se battre- à qui on offre immédiatement une solidarité concrète et complète, et cela, dans tous les pays de l’Union européenne puisque, cette fois, la répartition ne pose aucun autre problème que celui de sa mise en œuvre pratique.

Une fois encore, constatons que l’Europe est forte lorsqu’elle est confrontée à une crise. Au cas présent, c’est bien plus qu’une crise, c’est un drame. Mais la réponse de l’Europe est à la hauteur du drame.


Jean-Luc BERNET



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