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Dossier du Mois : Le retour des blocs à l'intérieur de l'U.E.

Les crises récentes subies par l’Union européenne (crise financière, afflux de migrants et Brexit) ont révélé au grand jour l’existence de blocs « sub-européens » constitués d’Etats membres partageant certains intérêts communs. On a vu émerger un bloc informel des Etats sud-européens (Espagne, France, Grèce, Italie, Portugal) ayant en commun un niveau d’endettement élevé et le souhait d'une alternative à la politique d’austérité promue par l’Allemagne et certains pays d’Europe du Nord.

On entend également parler du groupe de Visegrád: Pologne, Tchéquie, Slovaquie et Hongrie. L’intérêt commun du moment est de s'opposer à la politique de répartition des réfugiés proposée par la Commission et ratifiée par le Conseil de l'UE. Ce groupe n’est pas né à cette occasion, il existe depuis 1990.

La première génération de ces regroupements date du lendemain de la Seconde guerre mondiale. Ils sont donc bien antérieurs à la création de l’Union européenne et remédiaient régionalement aux lenteurs de la construction européenne.

- le Benelux (Belgique, Nederland -Pays-Bas -, Luxembourg) porté sur les fonts baptismaux en 1944 et qui a créé dès 1948 la première union douanière d’après-guerre, 10 ans avant la CEE 1

- le Norden ou Conseil nordique, constitué en 1952 (Danemark, Finlande, Islande, Norvège et Suède). Sa réalisation la plus emblématique est l’union nordique des passeports, concrétisant dès 1958 (27 ans avant les accords de Schengen) la libre circulation au sein de l’espace nordique.

- l’Association européenne de libre échange (AELE/EFTA 2) lancée en 1960 par le Royaume-Uni et 6 autres pays pour torpiller la CEE. Mais la torpille a fait long feu et le bloc s’est délité à partir de 1973 avec l’adhésion de son fondateur à la CEE. Ceux de ses membres qui n’ont pas rejoint l’UE depuis (Suisse3, Liechtenstein, Norvège, Islande) ont accepté de se rapprocher d’elle pour former en 1992 avec les pays membres de l’UE l’Espace économique européen (EEE/EEA) et appliquer les règles du marché unique européen sans participer à leur élaboration.

Ces blocs existent toujours mais ont perdu une partie de leur pertinence avec l’intégration de leurs membres au sein de l’Espace économique européen (Norvège, Islande) ou de l’UE (pour les autres Etats).

La seconde génération est apparue après la disparition du Rideau de fer en 1989 ; il s’agissait, pour les Etats qui avaient fonctionné pendant 45 ans en économie communiste planifiée, avec une souveraineté limitée, de se préparer à rejoindre les institutions euro-atlantiques censées leur garantir la prospérité (l’UE) et la sécurité (l’OTAN). Le foisonnement des initiatives a donné naissance à des organisations que l’on pourrait regrouper en deux catégories :

a) Celles parrainées par un ou plusieurs membres de l’UE ou de l’OTAN pour préparer leurs voisins ex-socialistes au grand bond dans l’économie de marché et la démocratie libérale. Dans cette catégorie :

- l’Initiative centre-européenne (ICE/CEI), lancée dès 1989 par l’Italie et l’Autriche en direction des pays d’Europe centrale et orientale.

- le Triangle de Weimar, promu dès 1991 par l’Allemagne pour sceller sa réconciliation avec la Pologne tout en y associant la France, marquant ainsi symboliquement la fin de la Seconde guerre mondiale et de ses conséquences.

- le Conseil des Etats de la mer Baltique (CEMB/CBSS), fondé en 1992 à l’initiative de l’Allemagne et du Danemark, pour les Etats riverains de la Baltique ou intéressés par cette région.

- l’Organisation de coopération économique de la Mer Noire (OCEMN/BSEC) lancée en 1992 à l’instigation de la Turquie pour réunir les riverains de la Mer noire et au-delà.

La Russie est membre de ces deux dernières organisations.

b) Celles nées d’initiatives d’anciennes «démocraties populaires» souhaitant se serrer les coudes pour préparer leur entrée dans l’OTAN puis dans l’Union européenne :

- le groupe de Visegrád réunissant dès 1991 la Pologne, la Hongrie et la Tchécoslovaquie (devenue la Tchéquie et la Slovaquie).

- l’Accord de libre-échange centre-européen (ALECE/CEFTA), créé en 1992 comme le pendant économique au précédent.

La troisième génération est née au tournant du siècle de l’intérêt porté aux pays des rives sud et est de la Méditerranée, foyers d’instabilité aux portes de l’Europe. Dans la continuation du Partenariat euro-méditerranéen de Barcelone (1995) est née en 2008, à l’instigation de la France, l’Union pour la Méditerranée (UPM/UfM) associant les pays membres de l’UE et tous les riverains de la Méditerranée afin de créer un "espace de paix, de sécurité et de développement". Les guerres en Libye et en Syrie, la dégradation des relations entre Israël et les pays arabes et la dérive autocratique de la Turquie ont relégué ces bonnes intentions dans les placards des diplomates.

Ces trois générations d’organisations sub-européennes ont en commun de regrouper des pays devenus membres de l’UE et d’autres qui ne le sont pas ou ne le seront jamais, d’avoir des résultats rarement à la hauteur des déclarations officielles faites à l’issue des réunions et de vivoter à l’ombre de l’UE. Néanmoins, elles correspondent à des ensembles ayant une certaine pertinence géopolitique (Pays nordiques, mer Baltique, mer Noire, mer Méditerranée, espace centre-européen).

Elles sortent de l’ombre périodiquement lorsque les préoccupations de certains de leurs membres convergent pour promouvoir des intérêts communs. Ainsi, le groupe de Visegrád retrouve de la vigueur car ses membres refusent le plan de "relocalisation" des réfugiés entre les pays de l’UE. Mais, au-delà de cet intérêt ponctuel commun, leur attitude vis-à-vis de la Russie va, selon ses membres, de la complaisance excessive (Hongrie) à l’hostilité viscérale (Pologne).

La quatrième génération est formée de groupes opportunistes, informels et à géométrie variable, nés des crises subies par l’UE.

On a vu apparaître, lors de la crise financière (à partir de 2008), un groupe des « fourmis du Nord », mené par l’Allemagne, faisant la leçon aux « cigales du Sud , endettées et incapables de se réformer ".

On a même agité la perspective d’une exclusion des seconds de la zone euro.

Nous avons vu plus haut que s’est constitué en réaction un groupe informel des pays sud-européens s’élevant contre "la rigide Allemagne qui leur impose une politique d’austérité".

A l’occasion des négociations du Brexit, on va certainement voir apparaître un groupe des durs vis-à-vis du Royaume-Uni voulant faire un exemple pour tout peuple tenté par une sécession européenne et un groupe des libéraux souhaitant maintenir coûte que coûte la Grande-Bretagne dans le marché unique européen. A cette occasion, l’Espace économique européen (EEE) pourrait retrouver les feux de la rampe comme structure permettant au Royaume-Uni de rester dans le marché unique européen tout en quittant l’UE. Mais il lui faudra alors accepter de respecter les 4 fondements de cet espace (libre circulation des marchandises, des services, des capitaux et des hommes, ce dernier point révulsant les partisans du Brexit), tout en n’ayant plus voix au chapitre pour fixer les règles car ces dernières, bien que s’appliquant également à l’EEE, sont déterminées uniquement par les membres de l’UE.

Les ensembles sub-européens, quelles que soient leurs générations, ne semblent pas être une menace pour l’Union européenne:

Aucun de ces ensembles n'a actuellement un poids politique ou économique significatif ; ils ne sont guère pris en considération par les grandes puissances non européennes.

Ils sont ignorés des opinions publiques et oubliés des débats politiques intérieurs ;

Ces ensembles n’offrent pas d’avantages et de services à la hauteur de ceux qu’offre l’UE ;

Les intérêts de leurs membres ne convergent que ponctuellement et temporairement ;

Leurs structures institutionnelles sont légères, purement intergouvernementales et nécessitent une unanimité paralysante.

Néanmoins, ce retour au régionalisme intra-européen témoigne du délitement de l’idéal de solidarité chez les dirigeants des pays européens, qui devraient pourtant méditer la phrase de Jean Monnet : « Nous ne coalisons pas des Etats, nous unissons des hommes ».

Notes:

1 - CEE : Communauté économique européenne, ancêtre économique de l’Union européenne.

2 - Les initiales sont indiquées selon leurs versions française puis anglaise, souvent plus connues.

3 - La Suisse n’a pas ratifié son adhésion à l’Espace économique européen, se contentant d’accords bilatéraux avec l’Union européenne. Ce pourrait être un modèle pour le Royaume-Uni mais il suppose le respect de la liberté de circulation des hommes !

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