« J’aime tellement l’Allemagne que je préfère qu’il y en ait deux »

Cette citation, attribuée à François Mauriac, reflétait assez bien le sentiment de nombreux Français il a 35 ans avant la réunification des deux Allemagne en 1990.

Certes, la réconciliation entre la France et l’Allemagne étaient bien devenue un fait accompli grâce aux efforts successifs de Robert Schuman puis du général de Gaulle, côté français, et de Konrad Adenauer, côté allemand. Mais l’histoire n’était pas oubliée et beaucoup de Français ne souhaitaient pas avoir un voisin trop puissant. Certes, des zélateurs de la République (dite) démocratique allemande se recrutaient dans un petit cercle de militants communistes mais la R.D.A avait peu d’admirateurs à l’Ouest. Il suffisait d’avoir vu de près le Mur de Berlin pour être dégouté du « paradis socialiste » mis en place (de force) à l’Est.

Mais, jusqu’à la veille de l’ouverture du Mur, tout semblait, pour les Français, immuable ; ils n’avaient qu’une perception lointaine donc atténuée des mouvements d’opinion qui traversaient l’Allemagne de l’Est. Ces derniers étaient favorisés par l’arrivée au pouvoir en 1985 de Mickael Gorbatchev, nouveau dirigeant de l’encombrant « grand frère » soviétique. Il est très vite apparu, pour les Allemands de l’Est, que les chars soviétiques ne viendraient plus rétablir l’ordre comme en 1953. D’ailleurs, l’accueil que firent les Berlinois de l’Est à Gorbatchev en octobre 1989 à l’occasion du 40e anniversaire de la création de la R.D.A avait fait froid dans le dos de la vieille garde stalinienne qui la dirigeait encore : non ! il n’avait plus rien à attendre de leur parrain russe qui les gourmandait pour leur absence de réformes !

Cet appareil vermoulu n’allait pas résister longtemps à la volonté populaire malgré la surveillance constante de la police politique, la STASI, l’omniprésence des forces russes, la vigilance des Vopos qui gardaient la frontière cadenassée. En fait, le Mur n’était pas aussi étanche qu’on le pense habituellement : depuis quelques années, des échanges au compte-goutte étaient possibles. Des Allemands de l’Ouest étaient autorisés à venir voir pendant quelques heures leurs parents à l’Est et certains Allemands de l’Est, dont les familles servaient d’otage, étaient autorisés à faire une visite pour « affaires familiales » à l’Ouest. Les ondes radios et de télévision passaient le Mur et répandaient des musiques et des idées délétères dans le cerveau du prolétariat !

Le compteur du changement va s’accélérer et désormais se compter en semaines et en jours au lieu de décennies !

Des manifestations d’ampleur croissante réunissent les Allemands de l’Est avides de liberté dans les églises, devenues les refuges de la contestation. Certains profitent de la « libre circulation » entre pays de l’Est pour se rendre en Hongrie qui est devenu la « baraque la plus gaie du camp socialiste » et où, à la faveur de l’assouplissement du régime, il est désormais possible de passer en Autriche. Certains Ossis (1) se réfugient en masse dans les jardins de l’ambassade d’Allemagne fédérale à Prague ; ils seront bientôt autorisés à passer en Allemagne de l’Ouest (1er octobre 1989).

L’édifice craque de partout et les dirigeants est allemands se rendent compte qu’ils ne pourront plus très longtemps colmater les brèches. Tel un barrage de cailloux fait par des gamins, l’eau passe par tous les interstices !

La démission le 18 octobre 1989 de Erich Honecker, à la tête de la R.D.A depuis 1971, précipite la déliquescence. Tel un cuisinier devant une cocotte-minute proche d l’explosion, ils cherchent à diminuer la pression pour durer encore un peu sans le soutien du grand frère soviétique. L’une d’entre-elles leur explose à la figure : la libéralisation du passage à l’Ouest. Mais ils se prennent les pieds dans le tapis pour communiquer et ce qui ne devait être qu’un aménagement futur est présenté par un membre du Politburo, Günter Schabowski lors d’une conférence de presse le 9 novembre 1989, comme d’application immédiate !

C’est une ruée instantanée vers les points de passage et les gardes-frontières, débordés et sans instructions, ne résistent pas très longtemps à la marée humaine. Le Mur, telle une digue soumise à une tempête gigantesque, laisse passer des flots de plus en plus importants d’Ossis voulant aller faire un tour à Berlin Ouest. A partir de ce moment, le calendrier s’ emballe ! Le Mur commence à être démantelé dès le 11 novembre tandis que le gouvernement de l’Allemagne de l’Est est emporté comme un fétu de paille dès le mois de décembre ! Le 28 novembre, Helmut Kohl, chancelier de la R.F.A, propose la réunification. Moins d’un an après, le 3 octobre 1990, la réunification des deux Allemagnes est actée, cela sans un coup de fusil !

C’était il y a 35 ans mais cela semble loin ; pourtant les répliques de ce séisme se font encore sentir. L’empire soviétique n’a pas résisté très longtemps et s’est dissous le 26 décembre 1991. Les pays « de l’Est » ont rejoint l’un après l’autre l’OTAN pour leur sécurité et l’Union européenne pour leur prospérité. Les dirigeants russes, humiliés, ayant perdu leur empire, rabâchent leur revanche et l’un d’entre eux , Vladimir Poutine, ancien du K.G.B en R.D.A, veut reconstituer l’Union soviétique ! D’abord la Géorgie, puis l’Ukraine, puis…. Mais, le maître du Kremlin devrait méditer la fin du bloc soviétique : un ensemble verrouillé, surveillé, réprimé a explosé en seulement quelques mois !

(1)Surnom des Allemands de l’Est