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Fin 2017: Fermeture du Tribunal Pénal International Pour L’Ex-Yougoslavie (TPIY)

L'HISTOIRE D'UNE JURIDICTION HORS NORME

Une création pour se donner bonne conscience

En 1991, la Croatie est déchirée par une guerre abominable qui oppose Serbes et Croates, et qui s'étend à partir de 1992 à la Bosnie-Herzégovine. Les exactions commises font réagir la « communauté internationale », qui hésite à intervenir militairement et, pour se donner bonne conscience, accepte (avec réticence) l’idée française de créer un tribunal international.

Le 22 février 1993 le Conseil de sécurité de l’ONU vote à l’unanimité la Résolution 808 décidant le principe de créer un Tribunal Pénal International pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) pour juger les personnes présumées responsables de violations graves du droit humanitaire international commises sur le territoire de l’ex- Yougoslavie depuis 1991. En septembre 1993, l’Assemblée générale de l’ONU élit les 11 juges et le 17 novembre 1993 la séance inaugurale a lieu à La Haye.

Il y avait un précédent avec les premiers tribunaux pénaux internationaux : celui de Nuremberg créé en 1945 pour juger les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité commis par les Nazis et celui de Tokyo instauré en 1946 pour juger les responsables nippons.


Un démarrage lent

Les débuts du Tribunal furent difficiles car les "grandes puissances" ne croyaient ni en son utilité ni en son avenir: il manquait de moyens financiers et humains et fut dépourvu de procureur pendant les 15 premiers mois. D’autre part, contrairement aux attentes, la création du Tribunal n'avait pas ralenti la fureur meurtrière en Bosnie-Herzégovine.

Le Tribunal commença par se doter des outils pour fonctionner, par exemple un règlement de procédure et de preuves (février 1994).

La première audience eut lieu le 7 novembre 1994, le premier accusé comparut devant le Tribunal le 26 avril 1995 et la première sentence fut prononcée le 29 novembre 1996.

Dans un premier temps, la politique du premier Procureur consistait à n’inculper que des seconds couteaux tandis que les responsables de haut niveau des massacres jouissaient d’une impunité choquante. Il faut préciser que les gouvernements occidentaux négociaient avec ces mêmes responsables les accords de Dayton (1995) qui firent cesser la guerre en Bosnie-Herzégovine. La perspective de la paix prit le pas sur la justice.


La montée en puissance

Après les accords de Dayton, les forces de l’OTAN stationnées en Bosnie-Herzégovine (S.FOR) n’eurent pas tout de suite comme préoccupation principale de rechercher les criminels inculpés par le TPIY. Mais, à partir de 1997, une collaboration fructueuse s’établit entre le Tribunal et la S.FOR qui avait reçu un mandat exprès du Conseil de Sécurité.

Ensuite les États-Unis obtinrent du gouvernement serbe la livraison (2001) de l’ancien dictateur Milošević, dont la responsabilité était engagée dans les atrocités commises par les Serbes de Bosnie et dans les exactions commises au Kosovo, ex-province serbe. Son procès s’ouvrit le 12 février 2002 mais Milošević mourut en prison le 11 mars 2006, avant la fin des débats.


Une fermeture hâtive

Les grandes puissances avaient hâte de fermer ce Tribunal, sous prétexte qu’il était coûteux mais, en fait, parce que les procès révélaient l’inaction des Occidentaux lors des massacres en Bosnie. Aussi, un plan d’achèvement de ses travaux est déterminé par le Conseil de sécurité (2003) alors même que de nombreux criminels de guerre courent toujours. Les derniers actes d’accusation sont bouclés en 2004. Pour tenir ces délais, des mesures furent prises :

  • Des juges « ad litem » (ne jugeant qu'une seule affaire) furent désignés pour aider et suppléer les juges permanents ;

  • Le Tribunal fut organisé pour mener 6 procès simultanément ;

  • Dans chaque affaire, seuls les chefs d’inculpation les plus graves furent retenus ;

  • Les procès furent regroupés, dès lors qu’ils concernaient une même affaire ;

  • La procédure fut accélérée par une plus forte implication des juges dans la direction des procès et le recours à des témoignages écrits, la procédure se rapprochant ainsi de celle en vigueur dans les pays de droit européen continental.

  • Un certain nombre d’accusés de rang intermédiaire ou subalterne furent livrés aux juridictions des États de l’ex-Yougoslavie, dès lors qu’elles présentaient toutes les garanties.


Le souhait de la Serbie d’entrer à terme dans l’Union européenne a offert à cette dernière un moyen de pression pour obtenir la livraison des deux derniers criminels en fuite (Ratko Mladić, arrêté le 26 mai 2011 et Goran Hadžić, le 20 juillet 2011).


COMPETENCES

Le TPIY avait des compétences géographiquement et chronologiquement limitées par la résolution du Conseil de sécurité qui l’avait créé.

Compétence matérielle Le Tribunal était mandaté pour poursuivre et juger quatre catégories de crimes:

  • Les infractions graves aux Conventions de Genève de 1949 qui régissent le droit international humanitaire;

  • Les violations des lois ou coutumes de la guerre;

  • Le génocide;

  • Les crimes contre l'humanité.

Compétences territoriale et temporelle Le Tribunal avait le pouvoir de poursuivre les personnes ayant commis ou ordonné de graves violations du droit humanitaire international sur le territoire de l’ex-Yougoslavie à partir de 1991.

Compétence personnelle Il jugeait les personnes physiques, à l'exclusion des personnes morales.

Primauté sur les juridictions internes Le TPIY n'avait pas le monopole de la poursuite et de la punition des violations du droit international humanitaire dans l'ex-Yougoslavie. Il exerçait sa compétence en parallèle avec les juridictions nationales. Cependant il primait sur ces dernières, et il pouvait, dans l'intérêt de la justice, demander le dessaisissement d'une juridiction nationale dans une affaire donnée, à tout stade de la procédure. En sens inverse, il pouvait renvoyer des affaires à des juridictions nationales dès lors que celles-ci présentaient toutes les garanties de bonne justice.


ORGANISATION

Le siège du TPIY était situé à La Haye, Pays-Bas.

Les juges

14 juges permanents et un maximum de 12 juges ad litem, porté temporairement à 16 pour accélérer l’achèvement des procédures. Un Président, un Vice Président, trois Présidents de chambres étaient choisis parmi les juges.

Points communs aux différentes catégories de juges

Les juges provenaient des différents continents et garantissaient la représentation au sein des Chambres des principaux systèmes juridiques du monde ainsi que d'une variété d'expériences professionnelles.

Les Chambres

Les 14 juges étaient élus par l'Assemblée générale des Nations Unies pour un mandat de quatre ans, renouvelable, à partir d’une liste de candidats établie par le Conseil de sécurité, sur proposition des États membres du Conseil de sécurité. Ils étaient répartis en trois Chambres de première instance et une Chambre d'appel, commune au TPIY et au TPIR (Tribunal pénal international pour le Rwanda).

Le Procureur

Un Procureur en chef et un Procureur adjoint étaient nommés par le Conseil de sécurité sur proposition du Secrétaire général de l’ONU. Le Bureau du Procureur fonctionnait en toute indépendance vis-à-vis du Conseil de sécurité, de tout État, des organisations internationales et des deux autres organes du TPIY.

Le rôle du Procureur était beaucoup plus vaste que son équivalent français. En effet, il était aussi magistrat instructeur et orientait les investigations policières des forces internationales.

Le Greffe

Le tribunal comprenait, en outre, un Greffier en chef et un Greffier adjoint. Il avait un rôle beaucoup plus vaste que le greffier en droit français car il s’agissait d’une véritable fonction d’appui du tribunal, gérant le budget du T.P.I.Y. et l’aide judiciaire aux accusés


BILAN
Les réussites du Tribunal

Le Tribunal a effectué un travail très important en inculpant 161 personnes qui ont été toutes été arrêtées: 90 ont été condamnées, 19 acquittées, 13 renvoyées devant des juridictions nationales des États de l'ex Yougoslavie, 17 décédées avant leur jugement, 20 ont leur acte d'accusation a été retiré et 2 sont en cours de procès devant le Mécanisme pour les tribunaux pénaux internationaux (M.T.P.I.).

Le TPIY, par sa jurisprudence, A enrichi le droit international pénal ; il a contribué à faire reculer l'impunité des dictateurs.

Les limites à l’action du Tribunal

Néanmoins, le TPIY A fait l'objet de critiques plus ou moins fondées:

  • Le Conseil de sécurité n’était pas investi du pouvoir législatif nécessaire pour créer ce nouveau tribunal et l’Assemblée générale de l’ONU n’avait pas été impliquée. D’autre part, il n’y avait pas de véritable contrôle politique sur le Tribunal, qui a en quelque sorte échappé à ses créateurs.

  • Encore maintenant, la justice internationale ne s’applique qu’aux États faibles et jamais aux plus puissants de la planète. D’ailleurs, la plainte de la Serbie contre l’OTAN pour des bombardements de civils n’a pas eu de suite.

  • Les principales puissances occidentales ne collaboraient avec le Tribunal que lorsque cela correspondait avec leurs intérêts. Ainsi, certaines puissances occidentales impliquées en Bosnie-Herzégovine n’ont pas livré au Tribunal tous les éléments de preuve dont elles disposaient.

  • En dépit du principe de « pas de peine sans loi », une partie du corpus pénal a été créée par le Tribunal lui-même, au fur et mesure de l’avancement des procès et par des changements incessants de règlement de procédure.

  • La compétence du Tribunal était rétroactive, ce qui est contraire aux principes du droit.

  • Il s’agissait d’une justice « hors sol » (le TPIY siégeait à La Haye, aux Pays-Bas), donc considérée comme étrangère par la population de l’ex-Yougoslavie. Certains documents n’ont même pas été traduits dans les langues de l’ex-Yougoslavie.

  • Le procès du dictateur serbe Slobodan Milošević, qui durait depuis 4 ans, n’a pu être mené à son terme suite à son décès (2006) et en raison de la longueur de la procédure, de type anglo-saxon.

  • De nombreux « seconds couteaux » ont été inculpés dans les débuts du Tribunal et leurs procès ont encombré durablement les différentes chambres.

  • Des variations inexplicables dans l’importance des peines ont été constatées avec parfois des révisions déchirantes par la Chambre d’appel.

  • Le Procureur bénéficiait de pouvoirs très importants puisqu’il cumulait l’instruction et l’accusation mais il ne pouvait rien sans la collaboration des États qui étaient les seuls à avoir une police pour arrêter les inculpés.

La pérennisation de la justice pénale internationale

Le TPIY a terminé ses travaux fin 2017, tous les inculpés ayant été jugés. Le Mécanisme pour les Tribunaux pénaux internationaux (M.T.P.I.) a été créé par le Conseil de sécurité de l’ONU pour prendre le relais des Tribunaux pénaux internationaux pour le Rwanda (TPIR), fermé en 2015, et pour l'ex-Yougoslavie (TPIY). Il mènera à bien leurs fonctions résiduelles (traitement des appels et révisions, supervision de l'exécution des peines, protection des victimes et des témoins, recherche et jugement des derniers inculpés rwandais).

Les travaux de la Commission du droit international de l’ONU ont abouti à la création d’une Cour pénale internationale (CPI) le 1er juillet 2002. Contrairement au TPIY, la Cour est permanente et elle a des compétences plus larges: juridiquement (ajout du crime d'agression) et géographiquement (étendue aux 123 États signataires des statuts).


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