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Le Mur de Berlin trente ans après


Qu’en dire qui n’ait déjà été mainte fois répété ? Les témoignages entendus lors de la soirée du jeudi 14 novembre à la Maison de l’Europe voulaient, par leurs différences, apporter des éclairages qui ne sont, à tout prendre, pas si souvent rappelés.

Notamment ceci : que derrière le voile d’une dictature - réelle et à l’occasion féroce : la Stasi n’est pas une invention - il pouvait y avoir aussi une vraie vie, douce, paisible, riche même d’un climat relationnel diversifié et même, disons le mot, relativement libre.

Michael Stange, qui a vécu ses onze premières années à quelques kilomètres seulement du rideau de fer, témoigne du fait qu’on pouvait parfaitement vivre sans jamais le voir vraiment. À cela, bien des explications, à commencer par celle de l’interdiction de s’en approcher. Mais il témoigne aussi du fait qu’aucune curiosité particulière ne l’y aurait poussé, ne serait-ce que parce que sa propre vie d’enfant, partagée entre l’école, la famille, les activités de loisirs, ne se distinguait sans doute de guère de celles des enfants de son âge à l’Ouest. Le Mur, nous dit-il, il ne l’a découvert en fait que lorsqu’il est tombé.

Le témoignage de Jean-Louis Leprêtre, qui a vécu de longues années comme diplomate culturel représentant de la France en RDA, est certes bien différent, mais d’une certaine manière il recoupe le précédent. À l’entendre, toutes ces années passées de l’autre côté du mur, à Berlin « capitale de la RDA » (donc Berlin-Est) lui ont fait découvrir une vie culturelle somme toute assez riche, un cinéma vivant, un niveau d’éducation élevé, un climat relationnel qui ne manquait ni de qualité, ni de diversité.

L’expérience de Frédéric Bourquin, telle qu’il l’évoque cinquante ans plus tard, est d’une autre nature. Jeune appelé basé dans le secteur français d'occupation de Berlin à la fin des années 60, il n’était autorisé qu’à de brèves - et bien sûr très contrôlées - excursions dans un Berlin-Est qui portait encore les stigmates de la guerre, et où les réalisations du régime (comme la tour de l’Alexanderplatz) n’en étaient que plus ostentatoires. Sans doute cette portion de ville pouvait-elle paraître, à qui n‘y séjournait pas, morose, voire terne.

Trente ans plus tard, même si personne ne souhaiterait revenir en arrière, le constat qui revient de plus en plus souvent est qu’on a peut-être confondu vitesse et précipitation. Il est vrai que les planètes étaient alignées : le mur avait déjà commencé à s’effriter avec pendant l’été l'ouverture du rideau de fer en Hongrie et des avancées vers la démocratie en Pologne, en Tchécoslovaquie ; et Gorbatchev, qui promettait de ne pas faire intervenir l'armée de l'URSS, pouvait fort bien être renversé ; il a d‘ailleurs bien failli l’être moins de deux ans plus tard.

Mais le fait est que dans cette précipitation, on a aussi fait table rase d’acquis dont on se dit après coup qu’ils auraient mérité d’être conservés, voire améliorés : on pense par exemple aux nombreux services collectifs qui maillaient, non sans arrière-pensée sans doute, la vie sociale, culturelle et même éducative de la population en RDA.

Du coup, nombreuses sont les fractures que toute la bienveillance, tous les sacrifices - réels - faits par les Allemands « de l’Ouest » n’ont pas réussi à réduire. Elles se mesurent aujourd’hui à l’aune de la montée des populismes dans les Länder de l'ex-RDA.

Oui, comme cela a été rappelé lors de cette soirée, c’est bien un bilan qu’on peut faire aujourd’hui, où chaque acquis s’accompagne d’une perte. C’est aussi cette lucidité qui donne tout son sens à la pratique même de la commémoration.

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