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Droit d’asile et migrations en Europe : fiche d’étape

D’abord, un rappel pour préciser de quoi on parle. Constatons que dans le langage courant, on amalgame souvent « demandeurs d’asile » et « migrants ». On pourrait s’en formaliser, car les deux concepts sont assez différents pour interdire cette confusion. Dans la pratique, pourtant, il est devenu difficile de distinguer les deux réalités. En effet, si l’on excepte les migrants légaux, ceux qui entrent régulièrement dans un pays qui n’est pas le leur pour y séjourner (plus ou moins longuement), tous les autres, sans exception, sont demandeurs d’asile, ce qui ne fait pas d’eux des illégaux pour autant.


Dans la première catégorie, on trouve les étudiants, les personnes admises au regroupement familial, et les personnes bénéficiant d’un contrat d’introduction de main-d’œuvre, comme par exemple des saisonniers. Dans la deuxième, il y a, donc tous les autres, pour lesquels la seule chance de pouvoir être admis dans un pays avec lequel ils n’ont pas de lien particulier, est de demander l’asile. Ils sont donc des migrants irréguliers tant que leur demande d’asile n’a pas été au minimum enregistrée en vue d’être examinée, sans garantie sur la suite qui lui sera donnée.


Rectification : il existe une petite catégorie de demandeurs d’asile qui sont d’emblée en situation régulière ; ce sont les personnes qui ont obtenu dans leur pays d’origine un visa d’établissement leur reconnaissant le droit d’entrer dans le pays de destination pour y déposer une demande d’asile. Tous les gouvernements européens rêveraient de pouvoir généraliser cette seule procédure, cela simplifierait tellement les choses, tout en réduisant le flux à un simple filet. Inutile de dire que la chose est quasiment impossible, car on imagine aisément les difficultés pour un Afghan, un Soudanais ou un Syrien à effectuer pareille démarche dans son propre pays !


Autre rectification : il existe encore deux autres catégories de « migrants » qui ne sont pas considérés comme tels, même par les populations les plus méfiantes. À savoir les touristes, toujours bienvenus, surtout quand ils sont solvables (et ils le sont par définition) et les travailleurs détachés, qui sont obligatoirement des citoyens européens ou des personnes séjournant régulièrement dans leur pays de résidence.


Quoi qu’il en soit, ce qui pose problème aujourd’hui, et un problème majeur depuis 8 ans environ, c’est bien l’afflux massif de migrants demandeurs d’asile, dans l’immense majorité des cas pour des raisons largement compréhensibles (car qui ne rêve d’une vie meilleure et plus sûre), même lorsqu’il s’agit de situations moins dramatiques que celles des Syriens ou des Afghans.


Face à cette situation, une chose est certaine : la Commission européenne, dès le mandat de Jean-Claude Juncker (2014/2019), a pris le problème à bras-le corps et s’est aussitôt heurtée à la mauvaise volonté des Etats-membres, qu’elle soit revendiquée (cf. Viktor Orban entre autres) ou plus honteuse (c’est un peu le cas de la France, il faut bien le dire). Seule l’Allemagne de Merkel, à grand renfort de déclarations courageuses qui engageaient non seulement son gouvernement, mais le pays tout entier, a devancé l’appel avec sa proposition d’accueillir jusqu’à un million de migrants avec sa fameuse phrase « Wir schaffen das » - « on y arrivera », en quelque sorte un « Yes we can » à l’allemande.


Migrants en route vers l’Allemagne, 2015.C.Stadler/Bwag — Travail personnel, https://commons.wikimedia.org


Depuis, les choses n’ont guère bougé, malgré de nombreuses tentatives d’aboutir à un accord entre Etats-membres qui ne soit pas qu’un vœu pieux, mais qui ait véritablement un caractère contraignant, ce qui n’avait pas été possible jusqu’ici, ou du moins pas été suivi d’effets sur le terrain.


Voilà que la présidence suédoise a permis enfin de débloquer la situation, en faisant aboutir lors du Conseil du 8 juin 2023 un compromis sur deux propositions de règlements.


Le premier établit un cadre commun pour la gestion de l’asile et de la migration, en remplacement de l'actuel règlement de Dublin (Dublin III, pour être précis), dont le caractère à la fois inopérant et injuste est patent depuis la grande crise migratoire de 2015.


Le deuxième modifie les procédures obligatoires régissant les demandes d'asile aux frontières extérieures, avec la double préoccupation de la rapidité, de l’efficacité, mais aussi de la fermeté dans le cas des demandes d’asile manifestement « infondées ». On n’a pas fini de discuter sur ce que signifie une demande « infondée ». Mais la réalité européenne est ainsi faite que pour aboutir à des compromis -le contraire du compromis étant le désaccord ou la stagnation- il faut bien en passer par des définitions assez floues pour être acceptées de tous, et assez précises pour être opérationnelles.


Quoi qu’il en soit, ce compromis comprend aussi, et c’est une première, des dispositions contraignantes, comme celle d’obliger chaque Etat-membre à accueillir un certain nombre de personnes en provenance des pays de premier accueil, sous peine d’être astreints à une pénalité qui est tout sauf négligeable : 20 000 € par migrant « refusé » ( cf. l’article sur la présidence suédoise).


Bref, la Suède ne se contente pas de faire à bas bruit plus que sa part du travail (l’ambassadeur Åkesson rappelait le 26 juin, lors de sa venue à la Maison de l'Europe, que 150 000 migrants ont été accueillis au cours des dix dernières années en Suède. Pour 10 millions d’habitants ! Cela en représenterait sept fois plus en France : on est loin du compte !). Elle a aussi réussi à mettre ses partenaires autour de la table et a abouti à cet accord qui permet aujourd’hui de parler véritablement, sans langue de bois, d’un « Pacte européen pour l’asile et pour la migration ».


Soyons justes : les choses n’ont pas démarré le mois dernier. Le cadre européen pour l’asile et la migration est en constante reformulation depuis ...les accords de Schengen (1985). Et ce n’est pas fini. Du reste, ces nouveaux règlements doivent encore être approuvés par le Parlement européen, de préférence (c’est le souhait de la Commission) avant les élections européennes de juin 2024.


Autant dire que nous aurons l’occasion d’en reparler.


Jean-Luc BERNET

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