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Frontières d’Europe, frontières en Europe

Le MEF-30 a engagé une réflexion autour de la notion de frontière, sous la forme d’une première conférence-débat introduite par une présentation de Frédéric Bourquin. Le sujet n’ayant pas été épuisé, une deuxième séquence est prévue le 23 septembre.

Frontière ! Voilà un mot que nous pourrions presque bannir de notre vocabulaire, si nous le réduisions à son acception traditionnelle : limite dont le franchissement marque le passage d’un État dans un autre. Il est vrai que depuis quelques années, du moins dans l’espace Schengen (26 pays, quand même !), nous avons presque oublié cette sensation de franchissement : nous passons naturellement d’un pays à l’autre sans autre changement que dans le paysage (et encore, pas toujours) et les panneaux routiers. Certes, la récente pandémie nous a brutalement rappelé que ces limites existaient encore -et même plus que jamais, puisqu’aux frontières entre États elle a parfois ajouté des frontières entre communes, régions, départements.

Malgré tout, le terme de frontière reste porteur d’une histoire qu’il convient de ne pas oublier, ne serait-ce que pour mieux préparer l’avenir. C’est vrai, bien sûr, hors d’Europe, c’est vrai aussi en Europe.


L’exposé de Frédéric Bourquin le 17 juin a eu le mérite de donner à cette notion, à travers une large exploration tant historique que géographique, politique et culturelle, toute sa dimension. Et le débat qui a suivi a débouché sur des propositions susceptibles d’alimenter la Conférence sur l’avenir de l’Europe.

Les situations particulières, sur lesquelles flotte encore aujourd’hui un fort parfum d’incertitude, ont été évoquées. Le séisme du Brexit, notamment, n’a pas fini de provoquer des répliques dont nul ne sait où elles aboutiront. Cela concerne avant tout l’Écosse : les récentes élections y ont renforcé aussi bien le Parti National Écossais (SNP) que le Parti vert, tous deux partisans de l’indépendance et surtout du retour au bercail européen. De quoi laisser entrevoir bien des turbulences dans les mois à venir.

Il en ira peut-être de même en Catalogne, même si les gestes d’apaisement du gouvernement Sanchez peuvent laisser espérer une évolution moins radicale qu’une indépendance pure et simple -qui ne profiterait à personne, même pas aux Catalans eux-mêmes.


Globalement, les rectifications de frontières en Europe ne se sont plus faites depuis 1945 que dans le consensus, le plus souvent pour des raisons pratiques bénéficiant à toutes les parties.


Il reste néanmoins une question qui pourrait s’avérer préoccupante dans un proche avenir : c’est l’utilisation, par certains États, du passeport comme d’une arme non plus seulement administrative ou diplomatique, mais politique. On en a de nombreux exemples et tous ne sont pas forcément rassurants.

Mettons à part l’engagement de Boris Johnson de délivrer ipso facto, aux habitants de Hong Kong qui en feraient la demande, un passeport britannique : on peut y voir une volonté louable de contrecarrer la brutalité des autorités chinoises. Il en va différemment de la libéralité, bien suspecte pour le coup, avec laquelle Poutine accorde un passeport russe aux russophones de Lettonie, Estonie et Lituanie : on voudrait compliquer encore la situation intérieure de ces trois pays au regard de leurs minorités russophones qu’on ne s’y prendrait pas autrement ! Le gouvernement croate avec les Bosniens croates qui en font la demande, la Roumanie avec des Moldaves, font de même. Sans oublier Viktor Orban et les Roumains de la minorité hongroise - quoique, dira-t-on, c’est moins grave puisqu’on reste entre Européens. Soit !


Pourtant, il faut toujours le rappeler, les passeports des États membres de l’UE sont émis sous le double timbre d’un État (celui dont le détenteur est le ressortissant), et de l’Union européenne. Cette mention, qui figure sur la couverture même du passeport, nous est chère et signifie -on ne le rappellera jamais assez- que le porteur dudit passeport peut attendre, se trouvant en difficulté hors d’Europe, la protection de n’importe quel État européen si celle-ci lui est plus accessible que celle de son propre État. Il y a là, en germe, une solidarité européenne on ne peut plus souhaitable.


Mais force est de constater que l’abus du passeport comme arme politique pourrait bien entraîner à l’avenir de nouvelles complications sur la question des migrations, dont on connaît le caractère potentiellement explosif.

Exemple : si demain la Macédoine du Nord devient membre de l’Union européenne, il y a fort à parier que son gouvernement se montrera libéral, au-delà de sa propre minorité albanaise, avec des Albanais d’Albanie, ne serait-ce que dans un souci d’apaisement -rappelons que l’ouest du pays a connu au début des années 2000 une guerre civile qui ne s’est arrêtée que sous les pressions conjuguées de l’UE, de l’OTAN et de l’ONU.


Ces considérations nous conduisent à proposer, dans le cadre de la Conférence sur l’Avenir de l’Europe, un encadrement plus strict dans l’établissement et la délivrance des passeports européens, ce qui pourrait obliger les États trop laxistes -ou trop retors- à devoir justifier les conditions dans lesquelles ils les délivrent au-delà de leurs propres ressortissants.

Rêvons un peu : à terme, souhaitons que nos passeports soient d’abord des passeports européens (en majuscules) et ensuite des passeports de nationalité (en minuscules).

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