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DOSSIER : L’énergie, un sujet très européen.

L’Union européenne est très loin d’être auto-suffisante en produits énergétiques et importe donc une grande partie de ces produits. La situation diffère selon les États membres, que la nature a plus ou moins bien dotés en ressources naturelles, mais tous dépendent des importations pour au moins deux produits, surtout le gaz et le pétrole, mais aussi le charbon pour la plupart.



Depuis quelques mois les médias et les politiques font des propositions diverses pour répondre aux grandes questions auxquelles l’Union européenne est confrontée :

  • manquerons-nous d’énergie cet hiver, sur fond de guerre qui se prolonge et se durcit encore en Ukraine et de quasi-suppression des importations venant de Russie ?

  • à quel prix faudra-t-il acheter cette énergie, que ce soit sur les marchés de gros ou pour les consommateurs, les particuliers comme les entreprises ?

  • comment concilier l’urgence de plus en plus criante de réduire les émissions de CO2 pour atténuer les changements climatiques (l’UE s’est engagée à être neutre en émissions de carbone en 2050) et la réponse aux besoins immédiats des personnes et des entreprises ?

Essai de point sur ces questions, en 4 parties :

1 – Un panorama général des sources de l’énergie consommée en Europe

2 – La situation actuelle, fort inquiétante

3 – Que font les gouvernements des 27 pour répondre à cette situation ?

4 – Enfin, que fait l’Union européenne ?


1 - Les sources de l’énergie consommée dans l’Union européenne : un panorama général.

L’électricité occupe souvent le devant de la scène dans les débats, mais elle ne représente qu’une partie de la consommation d’énergie de l’UE. Elle est le domaine dans lequel il y a le plus de différences (voire de divergences !) entre les pays européens.

L’électricité peut être produite à partir de multiples sources, elle n’est donc qu’un produit intermédiaire commode entre les produits énergétiques « bruts » (combustibles fossiles, uranium, hydroélectricité, éoliennes ou solaire, déchets à incinérer) et les utilisateurs finaux). Elle peut répondre à une large palette d’utilisations : chauffage, climatisation, moteurs, fabrication de métaux, transports… Un vrai caméléon, facile à transporter par des lignes en réseau (avec des pertes de quelques %) mais pas facile à stocker !



Son impact en émissions de gaz à effet de serre dépend énormément de comment elle est produite : de 10 g CO2/kWh pour le nucléaire, un peu plus pour le solaire et l’éolien et un peu moins pour l’hydro-électricité, à 450 gCO2 par kWh pour le gaz et près de 1 000 gCO2/kWh pour le charbon ! Ces valeurs tiennent compte de tout le cycle de vie des installations de production.



Le charbon a été le roi entre 1850 et 1960, aujourd’hui en Europe il est surtout utilisé pour la production d’électricité. Facile à transporter et à stocker, il est de loin le plus nocif en émissions de CO2 et son utilisation diminue, pour préserver le climat.


Le pétrole est facile à transporter et stocker. Pour le moment il est presque irremplaçable pour les transports routiers : il suffisait de voir les queues aux pompes il y a 3 semaines pour prendre conscience de son rôle primordial dans notre vie quotidienne ! Une grande partie de la chimie est également basée sur le pétrole.

Inconvénients : les gisements sont répartis de façon très inégale dans le monde (l’Europe en produit très peu), et globalement les ressources ont une limite physique.



Le gaz naturel est lui aussi facile à transporter (surtout quand on peut le faire par gazoducs, sous-marins ou terrestres, c’est moins vrai sur les très longues distances en mers profondes, il faut alors le liquéfier au départ puis le regazéifier à l’arrivée, dans des installations spécifiques) et à stocker, dans des structures géologiques favorables.

Inconvénients : comme pour le pétrole, les gisements sont répartis de façon très inégale dans le monde (l’Europe en a peu), et globalement les ressources ont une limite physique, même si elle est plus lointaine que pour le pétrole.



Les sources renouvelables sont évidemment très largement réparties dans le monde, mais elles varient beaucoup selon les pays (pas beaucoup de soleil et encore moins d’hydro-électricité aux Pays-Bas, trop plats) et sont très loin d’être permanentes et pilotables : très intermittentes et en partie imprévisibles pour le vent et le solaire, soumise aux aléas (plus limités) des débits des rivières pour l’hydro-électricité.


Les déchets ménagers peuvent être brûlés pour produire de la chaleur et de l’électricité (c’est le cas à Nîmes-Métropole depuis plus de 15 ans), plutôt que d’être enfouis. C’est un appoint appréciable mais limité : on ne produit des déchets exprès pour les brûler !


Les déchets agricoles peuvent être valorisés par incinération comme les déchets ménagers ou en étant « digérés » dans des cuves fermées, les gaz produits sont ensuite épurés et le méthane recueilli (c’est la molécule du gaz naturel) peut rejoindre le réseau de transport du gaz naturel. Cette technique peut aussi s’appliquer aux résidus des stations d’épuration… et cela se fait depuis peu à Nîmes-Métropole, ce biogaz peut être injecté dans le réseau de gaz ou alimenter les moteurs de certains bus.


Et l’hydrogène, dont on parle beaucoup ? Avantage énorme : pas d’émission de CO2 quand on l’utilise, cela ne produit que de la vapeur d’eau. Il peut être utilisé pour produire de l’électricité ou pour les véhicules de transport adaptés, ou à terme pourra remplacer en partie le gaz naturel.

Cependant l’hydrogène gazeux n’existe pas à l’état naturel, il faut le fabriquer et pour le moment c’est soit à partir de vapeur et de gaz naturel à haute température (90 % de la production), procédé très émetteur de CO2, soit par électrolyse de l’eau, procédé coûteux, au rendement restant limité… et qui n’est « propre » que si l’électricité utilisée est produite en émettant pas ou peu de CO2. On pense immédiatement à utiliser pour l’électrolyse de l’électricité d’origine solaire ou éolienne… mais pour être rentable la production d’hydrogène par électrolyse en grande quantité ne peut pas reposer sur des sources intermittentes d’électricité, elle doit fonctionner en longue durée.

Le monde de la recherche est sur les dents pour trouver d’autres moyens de produire l’hydrogène, avec peu d’émissions de CO2 ; souhaitons que cela soit rapidement fructueux.


Globalement, en 2019, l’énergie dans l’Union européenne provenait à 70 % de combustibles fossiles (pétrole 36 %, gaz 23 %, charbon 11 %), 13 % du nucléaire, 16 % de sources renouvelables (hydroélectricité, éolien, solaire, déchets). La part des renouvelables est en croissance, sauf pour l’hydro-électricité : pratiquement tous les sites exploitables ont été équipés ; il reste des possibilités pour les centrales de pompage-turbinage entre un bassin inférieur et un bassin supérieur, seul moyen actuellement de stocker de l’énergie électrique en grandes quantités, mais ce type d’installations n’accroît pas la production.

Et la même année 2019 une grande partie des combustibles fossiles étaient importés, notamment pour le gaz, importé à 90 % dont 40 % venant de Russie.


2 – La situation actuelle.

Avec la reprise très vigoureuse de l’économie européenne après le Covid-19, la consommation de combustibles fossiles a beaucoup augmenté à partir de mi-2021, notamment pour le gaz, privilégié dans la production thermique d’électricité parce qu’il émet moins de CO2 que le pétrole ou le charbon. Les prix des combustibles fossiles ont évidemment augmenté.


Fin février 2022 la guerre déclenchée par la Russie en Ukraine est venue s’y ajouter, avec les sanctions économiques contre la Russie et la très forte diminution des livraisons de pétrole et surtout de gaz russes à l’UE. Le prix du gaz naturel a atteint des sommets inconnus jusqu’alors.



Les deux gazoducs Nordstream 1 et Nordstream 2 installés sur le fond de la Baltique pour alimenter l’Allemagne et de là d’autres pays européens ne livrent plus rien : Nordstream 2, qui était techniquement prêt, n’a pas été mis en service, la Russie a fermé les vannes de Nordstream 1, et aujourd’hui les deux gazoducs ont été endommagés par un sabotage à l’explosif (qui avait intérêt à ce sabotage ? ce n’est pas clair…).


L’Allemagne et la France sont les plus gros consommateurs européens d’énergie, avec des « mix énergétiques » très différents.


L’Allemagne, qui avait mis presque tous ses œufs dans le panier des achats en Russie, croyant pouvoir commercer avec Gazprom comme avec un acteur économique classique, n’a pour le moment aucune installation lui permettant de recevoir par bateau du gaz liquéfié du Moyen-Orient, d’Afrique ou des USA, et par volonté politique elle a fermé progressivement depuis 2011 la plupart de ses centrales nucléaires. Les gazoducs ne sont pas conçus pour fonctionner dans les deux sens, ce qui limite la possibilité que d’autres pays « renvoient » du gaz vers l’Allemagne. L’Allemagne est donc dans une impasse alors que l’hiver approche. Seules solutions, dans l’urgence : utiliser ses centrales au charbon (très émettrices de CO2) pour consacrer le plus possible de gaz au remplissage des réserves (actuellement pleines à plus de 90 %)… et prolonger l’exploitation des trois derniers réacteurs nucléaires qui n’ont pas été fermés définitivement. Cette prolongation (pour le moment jusqu’en avril 2023) a été décidée et annoncée le 17 octobre, très probablement à contrecœur.


La France, dont la production d’électricité repose en majorité sur le nucléaire, est depuis fin 2021 face à un phénomène de corrosion sous contrainte qui affecte des tronçons de tuyauteries secondaires mais indispensables pour la sûreté. Comme dans le cas d’un rappel de voitures par le fabricant, il a fallu inspecter tous les réacteurs, et il s’avère que le défaut en affecte plusieurs. Après analyse, les réparations sont en cours. Il y a un nombre inhabituel de réacteurs à l’arrêt à cette période de l’année, la production est donc à un niveau historiquement bas, d’autant plus que le Covid-19 avait bousculé les plannings de travaux de maintenance régulière et que l’EPR de Flamanville 3 n’est toujours pas en service. Pour couronner le tout, l’hydro-électricité est amoindrie par la sécheresse de ces derniers mois. La situation risque fort d’être très tendue cet hiver si les températures sont très basses et les délestages temporaires et tournants ne sont pas exclus.



Du côté des prix, l’organisation actuelle du marché de gros de l’électricité fait que le prix (calculé en temps réel par tranches de 30 mn) correspond au coût variable de production (essentiellement le coût du combustible) de la dernière centrale (celle au coût le plus élevé) à laquelle il faut faire appel pour répondre à la demande… et depuis plusieurs mois c’est généralement une centrale au gaz. En conséquence, le prix du kWh d’électricité est étroitement corrélé au prix du gaz et il a donc augmenté considérablement.

Un paradoxe pour la France, pour laquelle les centrales au gaz n’ont représenté en 2021 que 7 % de la production totale !


3 – Que font les gouvernements des 27 pour remédier à cette situation ?

Tous les gouvernements européens ont appelé les citoyens, administrations et entreprises à faire des efforts de sobriété pour diminuer les consommations d’énergie. Cet appel a-t-il été suivi d’effet ou est-ce la conséquence des prix très élevés actuels ? Un constat : la consommation de gaz et d’électricité a nettement baissé ces derniers mois par rapport aux mêmes mois des années précédentes.

Des systèmes d’alerte en cas de risque élevé de coupures sont aussi mis en place.


Pour éviter aux consommateurs des hausses trop brutales des prix du gaz et de l’électricité, plusieurs États ont créé des « boucliers tarifaires » : soit par un plafonnement du prix du gaz destiné aux centrales électriques (c’est le cas de l’Espagne et du Portugal), soit par un plafonnement des prix sur lesquels l’État a la main (c’est le cas en France avec les tarifs réglementés de l’électricité pour les particuliers). Cependant d’une part cela laisse de côté les consommateurs qui ont des contrats « au marché » et les entreprises (par exemple la SNCF, un des plus gros consommateurs d’électricité en France), d’autre part ces « boucliers » coûtent fort cher aux États, qui prennent en charge la différence entre le prix résultant du marché et le prix plafonné.



De telles mesures, temporaires, ont aussi été prises en France pour les carburants automobiles : là c’est directement visible par le consommateur puisque ce « rabais » est clairement annoncé.

Les compagnies qui importent le gaz et le pétrole sont aussi fortement incitées à chercher ailleurs les ressources qui ont disparu avec l’arrêt des livraisons par la Russie ; les pays producteurs comme la Norvège, le Qatar, le Nigeria, l’Australie, l’Algérie ou les USA sont donc très sollicités pour pousser au maximum leurs productions et leurs livraisons, mais il y a une grande inertie dans l’exploitation des gisements et la chaîne des transports par bateaux gaziers est souvent tendue.


L’Allemagne et la France ont trouvé un arrangement original : c’est de gaz que risque de manquer l’Allemagne si l’hiver est froid, et pour la France c’est d’électricité qu’elle risque de manquer. L’Allemagne fournira de l’électricité à la France, qui lui fournira l’équivalent en gaz.

Par contre l’Allemagne ne semble pas avoir apprécié la décision de renoncer au projet de gazoduc MidCat (Midi-Catalogne) qui devait relier les gazoducs espagnols venant d’Algérie au réseau français et européen, en passant par les Pyrénées-Orientales et l’Aude. L’Allemagne y voyait un moyen de diversifier et sécuriser ses approvisionnements. Ce projet serait remplacé par un gazoduc sous-marin entre Barcelone et Marseille-Fos.


Tout cela, dans l’urgence, laisse provisoirement de côté la lutte contre le changement climatique.


4 – Enfin, que fait l’Union européenne ?

Elle a des difficultés à obtenir un accord complet des États membres sur toutes les mesures qu’elle envisage, mais il y a des progrès.

Elle prévoit de faire des achats de gaz en commun pour le compte des États membres, de façon à avoir un poids plus important sur les marchés et obtenir ainsi des prix plus bas, tout en évitant que les États membres se fassent concurrence (souvenons-nous des masques au printemps 2020….).

Elle souhaite aussi instaurer un « plafond dynamique » de prix du gaz (notion à préciser : variable avec les prix de marché ?…) au-delà duquel les transactions seraient suspendues. L’Allemagne et les Pays-Bas, traditionnellement rétifs aux interventions étatiques sur les marchés, y sont hostiles, et ils s’inquiètent du risque de voir la demande de gaz augmenter sous l’effet d’un appétit accru des producteurs d’électricité.

En plus – et cela a créé la surprise – l’UE prévoit de consacrer 40 milliards d’€ pour que les États membres puissent aider les entreprises et les ménages vulnérables à payer leurs factures énergétiques. D’où viendraient ces fonds ? Des fonds de cohésion non engagés de la programmation 2014-2020, que les gouvernements pourront reprogrammer en 2021-2027 pour limiter la hausse des prix de l’énergie.

Et l’UE n’exclut pas de changer en profondeur les mécanismes du marché de l’électricité, pour le rendre moins sensible aux variations brutales du prix de gaz et mieux prendre en compte toutes les composantes du mix des moyens de production. La France y est très favorable, pour que les consommateurs français puissent mieux bénéficier des prix bas du nucléaire.


Enfin l’UE ne perd pas de vue la préservation du climat.



Elle a mis à jour en 2022 la taxonomie verte européenne, qui désigne une classification des activités économiques ayant un impact favorable sur l'environnement, pour y intégrer le gaz et le nucléaire. L’objectif est d'orienter les investissements vers les activités "vertes". Cette mise à jour a été votée par le Parlement européen le 6 juillet 2022.

Et le 27 octobre les eurodéputés et les États membres (le Conseil de l’UE) ont conclu un accord qui confirme notamment l'objectif de zéro émission de CO2 pour les voitures et camionnettes neuves à partir de 2035, avec des objectifs intermédiaires de réduction : la fin en 2035 de la vente de véhicules neufs à moteur thermique (essence et diesel) dans l’UE est donc approuvée. Le texte se base sur une proposition de la Commission européenne de juillet 2021.

Les voitures déjà vendues pourront bien sûr continuer de circuler.



L'accord prévoit une "clause de révision" en 2026 : la Commission européenne évaluera alors les progrès réalisés "en vue d'atteindre les objectifs de réduction de 100% des émissions". Lors de cette révision, la Commission pourra ainsi amender les objectifs intermédiaires "en tenant compte des évolutions techniques", notamment pour les véhicules hybrides rechargeables, mais aussi pour les carburants synthétiques pouvant être considérés comme renouvelables.

A noter qu’une dérogation est accordée aux constructeurs dits "de niche" produisant moins de 10 000 véhicules par an. Ils pourront équiper leurs véhicules neufs d'un moteur thermique jusqu'à fin 2035, soit un an plus tard que les autres marques et sans objectif intermédiaire en 2030. Cette clause, parfois appelée « amendement Ferrari », a suscité des critiques.

A partir de 2030, fin des bonus pour les constructeurs automobiles : ce mécanisme permet aux fabricants d’avoir des objectifs moins stricts en matière d’émissions de CO2 par km, lorsqu'ils atteignent un certain pourcentage de véhicules zéro ou faibles émissions dans leur production.


Jean-Jacques SMEDTS

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