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"La géopolitique de l'euro" à la Maison de l'Europe

L'euro a été adopté par 19 États de l'Union européenne; il est depuis sa création en 1999 la monnaie de 340 millions d'Européens. mais a-t-il pour autant un rayonnement international ?

Olivier Lenoir, expert en géopolitique au Groupe d'études géopolitiques de l'Ecole Normale Supérieure (la fameuse rue d'Ulm à Paris) est venu à la Maison de l'Europe vendredi 28 février pour présenter ses réflexions sur cette question, sous le titre "La géopolitique de l'euro".

Le Groupe d'études géopolitiques est un groupe de réflexion fondé à l'École Normale Supérieure (Paris) en avril 2017 pour penser l'Europe à l'échelle pertinente. Il publie quotidiennement des informations sur son site, Le Grand Continent (https://legrandcontinent.eu/ ), ainsi que deux lettres hebdomadaires, celle du dimanche et celle du lundi.

Une trentaine de personnes étaient réunies à la Maison de l'Europe pour l'écouter. Très intéressées, elles ont posé beaucoup de questions auxquelles le conférencier a répondu avec la simplicité que permet la bonne maîtrise d'un sujet.


En préliminaire, Olivier Lenoir a défini le terme de géopolitique et ce qu'est une monnaie.

La géopolitique est l'étude des effets de la géographie (humaine et physique) sur la politique internationale et les relations internationales. C'est comprendre, expliquer et prédire le comportement politique international en prenant en compte les caractéristiques géographiques (climat, topographie, ressources naturelles, population, voisinage...).

Il a rappelé les trois fonctions d'une monnaie : outil d'échange, unité de compte (pour remplacer le troc), réserve de valeur.


L'euro a certes un rôle international: c'est la 2ème monnaie pour les échanges mondiaux (36% contre 40% pour le dollar). Elle constitue 20% des réserves de change des banques centrales contre 60% pour le billet vert. Néanmoins ce n'est, pour le moment, qu'une réussite partielle. Sa part dans le total cumulé des échanges, dettes et réserves mondiales a régressé de 27 à 21% depuis la crise de 2008 (ces % sont ceux d'un indicateur multi-critères mis au point par la BCE - Banque centrale européenne).

Les échanges entre les USA et l'UE se font très majoritairement en dollars. Les Etats de l'Union européenne eux-mêmes se soumettent au tout puissant dollar: 80% des importations européennes d'énergie sont réglées en dollars US (alors que les USA ne représentent que 2 % de ces importations), les Airbus sont vendus en dollars (même quand ce sont Air France ou Lufthansa qui les achètent!)...

Les USA interdisent aux entreprises européennes de commerce avec l'Iran, parce que toute entité utilisant le dollar US ou ayant une activité aux USA devient une « US person », soumise aux tribunaux américains qui peuvent lui infliger d'énormes pénalités, sous la menace que le marché américain lui soit fermé. Il y a là une véritable perte de souveraineté pour l'Union européenne, d'autant plus que le système Swift qui trace les échanges en devises est ... américain! Il faudrait créer un Swift européen.

Les États-Unis abusent de la position dominante du dollar, qui jouit d'un privilège exorbitant: ils consomment et investissent plus qu'ils n'épargnent et rehaussent régulièrement le plafond de leur dette, mais le dollar étant la monnaie dominante le niveau de cette dette n'est pas un problème puisqu'ils trouvent toujours des investisseurs pour souscrire aux emprunts en dollars.

La Commission européenne et la Banque centrale européenne commencent à prendre conscience que l'UE ne peut pas être une grande puissance commerciale sans une monnaie ayant un rôle géopolitique.



Quelles sont les conditions pour qu'une monnaie devient réellement internationale ? Deux hypothèses sont à considérer : l'hypothèse de Mercure (dieu romain du commerce), et celle de Mars (dieu romain de la guerre).

Dans la première hypothèse, qui correspond bien à la situation de l'UE, il suffirait d'être une grande puissance commerciale pour que sa monnaie ait un rôle majeur.

Dans la deuxième hypothèse, une super-puissance militaire créerait autour d'elle un cercle de pays "obligés" car dépendant de sa protection et plus ou moins tenus d'acheter les équipements militaires du protecteur ; c'est le cas des États européens qui pour la plupart sont membres de l'OTAN, bénéficiant ainsi du "parapluie américain"... même si ce parapluie a aujourd'hui tendance à quelque peu se refermer.

En réalité (et des simulations de situations passées le montrent bien) il faut absolument les deux, Mercure et Mars. La Chine est une des grandes économies du monde, mais le Yuan renminbi ne représente que 3 % des réserves de change mondiales.

Benoït Coeuré, un des dirigeants de la BCE, a récemment déclaré: "L'internationalisation de l'€ passe par le marché mais pas seulement, il faut aussi une stratégie, des accords militaires et politiques". Jean-Claude Juncker lui-même a dit, quand il présidait la Commission européenne, vouloir développer une "diplomatie économique européenne", sans donner de précisions sur en quoi elle pourrait consister.

Or l'Union européenne, géant économique, est un nain militaire car, pour le moment, elle n'a pas de réel budget européen de défense. Certes, la France a un vrai potentiel militaire, une tradition de projection à l'extérieur et détient l'arme atomique mais, pour le moment, ces moyens ne sont pas mutualisés à l'échelon européen.


Pour le conférencier, cette situation n'est pas près de changer pour différentes raisons :

- une longue tradition d'utilisation du dollar par les États européens, le conservatisme des marchés financiers, de l'énergie et des matières premières habitués à compter en billets verts,

- les règles de comptabilisation dans les grands groupes mondiaux, qui sont les règles américaines,

- le pouvoir extra-territorial de la justice américaine et l'absence de volonté politique des gouvernements européens.

Face à ce constat amer, le directeur de la Banque de France, M. Saigne-Vialleix, a cependant souligné que l'euro est une réussite en Europe car il nous a protégés des conséquences de la crise de 2008 grâce à la politique habile de la Banque centrale européenne; en outre il n'a jamais été attaqué par les marchés, alors que le franc ou la lire étaient très régulièrement attaqués avant la création de l'euro..


Quelques mesures pourraient être envisagées pour développer le rôle international de l'euro :

- les pistes proposées par les institutions européennes: achever l'Union monétaire et l'Union bancaire; créer un vaste marché unique de la dette publique en euro (actuellement, il y a 19 marchés avec des taux et des taxations différents!) en émettant des bons du Trésor européens; fortement inciter les Etats de l'UE à utiliser l'euro et non le dollar dans leurs échanges intra-européens

- les pistes auxquelles pense en plus Olivier Lenoir: développer une diplomatie de l'euro en s'appuyant sur le Service d'action extérieure de l'UE, qui pourrait montrer aux pays avec lesquels il est en contact les avantages d'avoir recours à l'euro dans les échanges; au moins évoquer, voire imposer l'utilisation de l'euro dans les accords commerciaux avec les pays tiers (du type CETA)... Mais il ne faut pas oublier que l'internationalisation d'une monnaie a ses contreparties : la difficulté de contrôler la masse monétaire, les responsabilités dans la gestion du système monétaire international...


Un petit succès récent: le pétrolier russe Rosneft vendra du pétrole aux Européens en euros.


A une question sur la création éventuelle de crypto-monnaies par la BCE, il est répondu par le directeur de la Banque de France que la BCE a très clairement rejeté cette éventualité: en effet les crypto-monnaies ne sont pas des monnaies puisqu'il leur manque (faute d'un émetteur fiable avec une garantie) la fonction de réserve de valeur. par contre la block-chain est utilisée par les banques centrales européennes.

Une personne estime (opinion développée par plusieurs économistes) que la zone euro n'est pas optimale au point de vue économique, à cause des très grands écarts entre les situations économiques de ses Etats membres. Pour compenser il faudrait que le marché du travail européen soit très fluide, ce qui n'est pas le cas.

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