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28 et 29 Janvier 1966 : Le compromis de Luxembourg

A l'occasion des 50 ans de la Maison de l'Europe, un article de notre Lettre Europe sera dédié à un événement qui s'est déroulé il y a 50 ans, en 1966, mois par mois. Voici ce qu'il s'est passé en Janvier 1966.



Par Frédéric Bourquin, Président de la Maison de l'Europe de Nîmes

De Gaulle hostile à la supranationalité

Depuis son retour au pouvoir en France, en 1958, le Général de Gaulle était hostile à une évolution de la Communauté économique européenne (C.E.E.) vers un fonctionnement fédéral. Ainsi, il s’opposait à un renforcement des pouvoirs de la Commission européenne, à un élargissement du rôle du Parlement européen, à son élection au suffrage universel direct ainsi qu’à l’entrée en vigueur le 1er janvier 1966 du vote à la majorité qualifiée au sein du Conseil des ministres de la C.E.E. Pour lui la Communauté devait fonctionner selon un mode intergouvernemental, le rôle de la Commission devait être celui d’un simple secrétariat technique au service des pays membres tandis que le Parlement européen n’avait aucune légitimité à ses yeux.


Le chiffon rouge des propositions de Walter Hallstein

Walter Hallstein, président (allemand) de la Commission européenne et Sicco Mansholt, vice-président (néerlandais) chargé de l’agriculture avaient présenté (24 mars 1965) au Parlement européen les propositions de la Commission sur le financement de la politique agricole commune (P.A.C.), les ressources propres de la C.E.E. et sur le rôle du Parlement dans l’attribution des ressources communautaires.


Les dépenses agricoles, jusque-là couvertes par les budgets nationaux, devaient être prises en charge par le Fonds européen d’orientation et de garantie agricole (FEOGA) alimenté désormais par le budget communautaire. Ce dernier serait alimenté par les prélèvements agricoles aux frontières communautaires et les droits de douane extérieurs appliqués en fonction du tarif extérieur commun. Ces fonds n’étant plus sous la responsabilité des parlements nationaux, il semblait logique d’en attribuer la répartition au Parlement européen.


La Commission espérait l’appui de la France sur la sanctuarisation du financement de la politique agricole commune en échange de sa non opposition à l’affectation à la Communauté de ressources propres et à l’attribution du contrôle au Parlement européen. Néanmoins, la Commission commis une erreur tactique en présentant ce projet au Parlement européen avant d’en discuter avec les gouvernements des pays membres ; cela provoqua la fureur du gouvernement français.


Le Conseil, réuni à Bruxelles du 28 au 30 juin sous présidence française n’arriva pas à concilier les points de vue, les cinq autres pays membres (Allemagne, Italie, Belgique, Pays-Bas et Luxembourg) soutenant peu ou prou les propositions de la Commission tandis que la France s’y opposait.


La politique de la « chaise vide »

De Gaulle décida, à partir du 1er juillet 1965, de mener une politique de la « chaise vide » (non-participation de la France aux réunions), pour faire plier ses partenaires en les menaçant de paralyser la Communauté et demandant une révision des traités. Il rappela à Paris la représentation française auprès du Conseil dont les réunions se tinrent désormais à cinq. L’élection présidentielle montra à de Gaulle, soumis le 5 décembre à un ballottage inattendu, que les partisans d’une Europe plus fédérale pesaient électoralement. Devant cette opposition intérieure et le front commun de nos partenaires, il dut assouplir sa position.


Le « compromis de Luxembourg »

Une nouvelle réunion du Conseil eu lieu les 28 et 29 janvier à Luxembourg et accoucha d’un compromis :

« 1° Lorsque, dans le cas de décision susceptible d’être prise à la majorité sur proposition de la Commission, des intérêts très importants d’un ou plusieurs partenaires sont en jeu, les membres du Conseil s’efforceront, dans un délai raisonnable, d’arriver à des solutions qui pourront être adoptées par tous les membres du Conseil, dans le respect de leurs intérêts et de ceux de la Communauté, conformément à l’article 2 du traité »

« 2° En ce qui concerne le paragraphe précédent, la délégation française estime que, lorsqu’il s’agit d’intérêts très importants, la discussion devra se poursuivre jusqu’à ce que l’on soit parvenu à un accord unanime. »

« 3° Les six délégations constatent qu’une divergence subsiste sur ce qui devrait être fait au cas où la conciliation n’aboutirait pas complètement. »

« 4° Les six délégations estiment néanmoins que cette divergence n’empêche pas la reprise normale des travaux de la Communauté. » ...


Si la formulation du compromis est obscure, son interprétation était claire. Il s’agissait d’un code de bonne conduite selon lequel les Etats membres s’engageaient à ne pas passer, au sein du Conseil, au vote à la majorité qualifiée, dans les cas prévus par les traités de Rome, dès lors que l’un d’entre eux estimerait que cette question était vitale pour ses intérêts très importants (non définis !). Les Etats étaient convenus de poursuivre, en ce cas, la discussion jusqu’à ce qu’un consensus soit obtenu, « dans un délai raisonnable » (non fixé !). La délégation française avait fait ajouter le paragraphe 2 indiquant que la discussion devait se poursuivre jusqu’à obtenir l’unanimité. Il subsistait donc un désaccord sur la solution à mettre en œuvre en cas d’absence d’unanimité mais chacun convint que cela n’empêchait pas la reprise des travaux de la Communauté. Cela revenait, provisoirement, non pas à abandonner la règle de la majorité, mais à ne pas y recourir.


La Commission sortit durablement affaiblie de cette crise ; certes De Gaulle ne réussit pas à la ravaler au rang de simple secrétariat technique mais parvint uniquement à l’obliger à présenter ses propositions en premier au Conseil. Enfin, Paris profitant de la fusion le 1er juillet 1967 des exécutifs des trois Communautés (entrée en vigueur du traité de Bruxelles signé le 8 avril 1965) s’opposa au renouvellement du mandat de Walter Hallstein. Par contre, le gouvernement français ne remit plus en cause les traités et accepta de reprendre sa place au Conseil des ministres.


L’unanimité est – à peu d’exceptions près – demeurée la règle jusqu’à l’adoption de l’Acte unique en février 1986.

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