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L’Europe et la migration légale de travail

Jeudi 22 avril, à l’invitation du Mouvement européen du Vaucluse, les eurodéputés Sylvie Guillaume (F) et Javier Moreno-Sanchez (Esp) ont bien voulu rendre compte de leur action par visio-conférence. Sylvie Guillaume en particulier est revenue sur le rapport qu’elle a récemment présenté en Commission des Libertés civiles du Parlement européen (parfois appelée commission LIBE) sur la « migration légale de travail » en Europe. De quoi s’agit-il ?


L’appellation même a de quoi surprendre. On sait que l’Europe se préoccupe, parfois « à son corps défendant », des migrations en général ; elle y a d’ailleurs acquis, à travers plusieurs directives, de nombreuses compétences qui restent encore aujourd’hui peu connues et qui ont même de quoi surprendre quand on les découvre. À cela s’ajoutent les dispositions Schengen qui règlent, au moins dans le principe - l’application étant parfois plus ardue - de nombreux aspects de la question des migrants entrant en Europe.


Un rappel s’impose : le terme de « migrant » ne s’applique pas vraiment à un citoyen européen quittant l’État dont il a la nationalité pour s’installer, durablement ou pas, dans un autre État de l’UE, pas plus qu’il ne s’applique - toutes proportions gardées - à un Breton s’installant en Lorraine. Le terme de migrant ne vaut donc réellement que pour les non-Européens séjournant, entrant ou souhaitant entrer dans l’UE ou dans un État hors UE membre de l’espace Schengen (Islande, Norvège et Suisse).


Cela concerne environ 20,9 millions de personnes, soit 4,7% de la population totale de l’UE : ce n’est pas rien (1). Sur ce nombre, 8,8 millions sont des actifs qui peuvent, comme tout actif, se trouver contraints à la mobilité, ou en éprouver le désir, ou y être conduits par les hasards de la vie. Parfois, ces « actifs non-européens mobiles » et en situation régulière (les étrangers en situation irrégulière relevant exclusivement du droit de chaque État-membre), seront couverts par les dispositions applicables au détachement des travailleurs, qui ont fait l’objet de plusieurs directives parfaitement claires, encore récemment précisées pour les routiers (2) : ils ne sont donc pas concernés par les propositions du rapport de Sylvie Guillaume.


Restent tous les autres cas, pouvant résulter de situations très différentes, renvoyant le plus souvent à des législations nationales très disparates puisque dans ces cas-là c’est le plus souvent la compétence nationale qui reprend le dessus. Le rapport de Sylvie Guillaume évoque à cet égard une situation « très fragmentée ». Le résultat est double : pour les personnes concernées, cela se traduira par un surcroît de précarité, voire diverses formes de discrimination ; et pour l’Europe, cela peut déboucher sur une difficulté à réguler des flux migratoires, qu’ils soient « intra-européens » (d’un État-membre à l’autre) ou « extra-européens » (entrées de migrants sur le territoire) (3).


Or toutes les analyses, tant démographiques qu’économiques montrent que l’Europe est, et doit rester, une terre d’immigration. Dans quel but et à quelles conditions ? La réflexion autour de la migration légale de travail vise notamment à répondre à ces deux questions, qui semblent aller à l’encontre d’idées répandues.


Pourquoi l’Europe doit-elle rester ouverte à des migrants ?

  • D’abord à cause de considérations démographiques bien connues. Même si la France échappe (pour l’instant) à ce phénomène, on sait que le solde démographique « naturel » (naissances moins décès) est négatif dans plusieurs pays européens, et n’est partiellement corrigé que par le solde migratoire. Une population qui diminue, c’est une population qui vieillit (4), dont les capacités productives régressent, et dont les besoins augmentent.

  • Ensuite à cause de considérations économiques, qui ont des répercussions sociales et même sociologiques : à des degrés divers, tous les États-membres connaissent des besoins de main-d’œuvre. D’abord dans les secteurs d’emploi peu ou faiblement qualifié (agriculture, hôtellerie, construction) et aussi, c’est bien sûr la découverte de ces derniers mois, dans les métiers du soin ou, pour le dire avec un mot à la mode, du « care ». La pandémie que nous vivons encore a montré toute l’importance de ce déficit dans les professions de qualification faible ou intermédiaire. Mais c’est également vrai, dans des proportions sans doute moindres, dans des secteurs à fort contenu technologique (intelligence artificielle, nouvelles technologies de la communication, bio technologies, recherche en général), ne serait-ce que parce que ce sont des secteurs où l’Europe subit la pression inverse, celle de la supposée « fuite des cerveaux » (sans doute moins massive qu’on ne le suppose) vers l’Amérique du Nord en particulier.

Ce sont ces éléments que le rapport présenté par Sylvie Guillaume devant la Commission LIBE le 15 janvier, et adopté à une très large majorité, rappelait afin d’engager la Commission, à travers sa présidente, à concrétiser l’intention affichée lors de son discours d’intronisation, à savoir que : la création de voies d’entrée légales fait partie des actions-clés visant à lutter contre la migration irrégulière en Europe. Le rapport ne manque d’ailleurs pas de préciser qu’aux explications strictement rationnelles s’ajoutent les valeurs humanistes et éthiques, qui s’appliquent aussi à la situation des migrants, quels qu’ils soient et quelles que soient leurs motivations. Et pour ajouter encore à l’intérêt de ce travail d’encadrement législatif qu’il est demandé à la Commission d’engager, il convient aussi de préciser qu’à terme, cela permettra aussi de lutter contre ces criminels patentés que sont les passeurs de clandestins.


Ce rapport est donc un texte « non législatif », mais il n’en constitue pas moins une première étape, importante, vers une démarche législative au sens plein, donc vers l’élaboration d’une directive qui sera ensuite - sans doute beaucoup plus tard - adoptée en co-décision par le Parlement et le Conseil de l’UE.


C’est l’occasion de rappeler que, contrairement aux démocraties parlementaires classiques, c’est la Commission européenne qui détient seule l’initiative des lois, le Parlement européen ne l’a pas. Ce dernier a néanmoins tout loisir d’exiger de la Commission qu’elle rende des comptes sur son action, ou qu’elle engage une action de sa compétence si elle tarde à le faire : il ne s’en prive pas, on en a ici l’illustration.


Il n’en reste pas moins qu’accorder enfin ce droit d’initiative des lois au Parlement reste l’étape indispensable qui rapprochera encore un peu plus l’Union européenne d’une « vraie » démocratie. Les choses étant ce qu’elles sont, et la coopération intergouvernementale restant, pour l’instant, le principal mode de gouvernance européenne, nous en sommes encore loin. Mais avec d’autres, le Mouvement européen France agit dans ce sens.


Pour en savoir plus, voir la fiche du Parlement européen : https://www.europarl.europa.eu/ftu/pdf/fr/FTU_4.2.3.pdf et le texte du rapport adopté le 15 janvier : https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/LIBE-PR-657255_FR.html, ainsi que l’avis de la Commission : https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/EMPL-AD-655901_FR.html


Notes:

(3) : C’est l’occasion de rappeler, ce qu’on oublie souvent, qu’il y a des entrées mais aussi des sorties de migrants: ainsi en 2018, on comptabilise 2,2 millions d’entrées et 0,9 million de sorties. Source : https://ec.europa.eu/info/strategy/priorities-2019-2024/promoting-our-european-way-life/statistics-migration-europe_fr#developmentsin20192018

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