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POUTINE DEVANT LA JUSTICE ?

Peut-on espérer voir un jour les dirigeants et militaires russes déférés devant la justice pour les crimes commis en Ukraine ?


Le droit à la justice n'est qu'un de ceux réclamés par les victimes. Elles ont d'autres exigences comme le droit de savoir ce qui s'est réellement passé, le droit à la réparation des préjudices subis et le droit de ne plus subir de nouveau une situation semblable.

Photomontage … ukrainien évidemment.


Quelles sont les particularités de la justice internationale pénale ?


Elle est en conflit avec la souveraineté des États et ne poursuit que les crimes de masse les plus graves. Sans structure étatique de soutien donc pas de police, pas de prisons, il lui faut donc obtenir la coopération des États pour arrêter les suspects et détenir les condamnés.

Elle ne s'appuie pas sur un code pénal mais sur des conventions internationales et la jurisprudence des tribunaux internationaux. Le droit international est interprété très librement par les juges puisqu'il n'y a pas de Cour de cassation.

Elle est influencée par le droit anglo-saxon (common law), c'est à dire qu'il n'y a pas d'instruction préalable et les juges arbitrent entre les parties : le procureur et la défense.

Il n'y a pas de parties civiles ni de condamnation par contumace (« in absentia ») comme en droit continental.


Courte histoire de la justice internationale


Pourquoi une justice pénale internationale ?

L'ampleur de certains crimes très graves interpelle la « communauté internationale ».

Jusqu'au XIXème siècle, le droit international ne s'intéressait qu'aux relations entre États mais depuis le début du XXe siècle, les guerres affectent de plus en plus les populations civiles.

Une première tentative avait avorté ; le traité de Versailles (1919) et le traité de Sèvres (1920) prévoyaient la création de juridictions internationales devant juger d'une part le Kaiser et d'autre part les auteurs du massacre des Arméniens mais rien n'a été fait en fin de compte.

Les atrocités commises à l'encontre des civils lors de la Seconde guerre mondiale ont amené à la création d'une justice internationale pénale pour punir les crimes de masse.

Les Alliés créent alors les Tribunaux militaires internationaux de Nuremberg (1945) puis pour l'Extrême-Orient (1946) pour juger le crime contre la paix, les crimes de guerre et contre l'humanité des dirigeants nazis et japonais.


La deuxième génération de tribunaux pénaux internationaux est apparue à la faveur de la fin du bloc communiste; le Conseil de sécurité des Nations Unies crée alors deux tribunaux pénaux internationaux pour juger les crimes de génocide, de guerre et contre l'Humanité en ex-Yougoslavie (T.P.I.Y) en 1993 et au Rwanda (T.P.I.R) en 1994. Ils sont entièrement internationalisés et ont la primauté sur les tribunaux nationaux.


En 2003 naît la troisième génération, les tribunaux hybrides c'est à dire des tribunaux « ad hoc » composés de juges nationaux et internationaux. Ils ont été créés avec l'accord des gouvernements locaux des pays dévastés par des conflits : Bosnie-Herzégovine, Kosovo, Sierra Leone, Cambodge, Timor Leste, Chambres extraordinaires africaines (jugement d'Hissein Habré, dirigeant tchadien), Liban.

Enfin, en 1998 est créée la Cour pénale internationale (C.P.I.) qui se veut universelle et permanente même si elle subit quelques critiques : on l'accuse d'être une justice sélective, au service des vainqueurs et la longueur des procès. Certains États n’en veulent pas : États-Unis, Russie, Chine, Inde, Iran, pays arabes...


Quels crimes juger après un conflit ?


Quatre crimes considérés comme les plus graves et donc imprescriptibles :

  • Crime de génocide

Ce crime se caractérise par l'intention de détruire, en tout ou partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux.

  • Crimes contre l'humanité

On entend par crime contre l'humanité une attaque généralisée ou systématique lancée contre une population civile.

  • Crimes de guerre

Les crimes de guerre sont des actes graves qui, dans le cadre d'un conflit armé, visent des personnes ou des biens protégés par les dispositions des Conventions de Genève, non justifiés par des nécessités militaires.

  • Crime d'agression

On entend par crime d’agression la planification, la préparation, le lancement ou l’exécution par une personne effectivement en mesure de contrôler ou de diriger l’action politique ou militaire d’un État, d’un acte d’agression qui, par sa nature, sa gravité et son ampleur, constitue une violation manifeste de la Charte des Nations Unies.

La Cour pénale internationale


C'est une cour permanente, sise à La Haye (Pays-Bas) créée par le traité de Rome en 1998, elle fonctionne depuis 2002. Elle a un accord avec l'O.N.U.

Sa compétence est subsidiaire, c'est à dire qu'elle n'intervient que lorsque les tribunaux nationaux ne peuvent pas fonctionner (État déliquescent) ou lorsqu'ils ne veulent manifestement pas poursuivre les criminels (pressions politiques).

Elle emploie 900 salariés dont 18 juges et reconnaît 6 langues officielles : arabe, chinois, espagnol, russe dont 2 langues de travail ; français, anglais. Son budget est de 170 millions €/an.


Compétences de la Cour pénale internationale

  • La compétence d'attribution (« Ratione materiae »)

Les crimes poursuivis sont ceux de guerre, contre l'humanité, de génocide (depuis 2002 pour ces 3 crimes), et crimes d'agression (depuis 2018).

  • La compétence territoriale (« Ratione loci »)

Lorsque les juridictions nationales n'ont pas la volonté ou la possibilité d'exercer des poursuites, alors la Cour peut exercer sa compétence si :

- Le crime est commis sur le territoire d'un État partie (c'est-à-dire qui a ratifié les conventions d'adhésion à la CPI),

- Ou commis par un ressortissant d'un État partie,

- Ou si un État non-membre a accepté la compétence de la Cour pour un crime donné (ex: Côte d'Ivoire, Autorité palestinienne, Ukraine)

- Ou si la situation est déférée par un État membre (ex: Ouganda, R.D.C, R.C.A, Mali),

- Ou si le procureur s'est auto-saisi (ex: Kenya).

- Ou si la situation est déférée au procureur par le Conseil de sécurité en vertu du chapitre VII de la Charte de l'O.N.U. Dans ce cas, les conditions précédentes ne s'imposent pas (ex: Darfour, Libye).

  • La compétence temporelle (« Ratione temporis »)

La compétence de la Cour ne peut s'exercer que pour les crimes commis après sa création effective en 2002 et, pour les États ayant adhéré postérieurement, après la date officielle de leur adhésion.

  • La compétence personnelle (« Ratione personae »).

La compétence de la Cour ne s'exerce qu'à l'encontre des personnes physiques mais en aucun cas à l'encontre des personnes morales (partis politiques, associations, entreprises...).


Organisation de la Cour pénale internationale


La Cour est une organisation internationale autonome. Elle comprend :

L'assemblée des États parties : C'est le « parlement » de la Cour : chacun des 123 États membres dispose d'une voix. Ni la Russie, ni les États-Unis, ni la Chine, ni l'Inde, ni Israël ne sont membres.

Le Procureur

Les organes de jugement : la section préliminaire, la section de première instance, la section d'appel, les audiences sont publiques (sauf instauration du huis clos et multilingues).

Le greffier


Procédure devant la Cour pénale internationale


Une « situation » peut être déférée au procureur par le Conseil de sécurité de l’O.N.U., un État partie ou encore le procureur peut s'auto-saisir.

Le procureur ouvre un « examen préliminaire » puis éventuellement une « enquête » avec souvent le concours d'États parties et d'O.N.G.

Si la situation est déférée par le Conseil de sécurité, tous les États membres de l'O.N.U. doivent coopérer avec la Cour ; sinon, seuls les États parties sont tenus de coopérer.


Quels sont les tribunaux pénaux susceptibles de juger les crimes en Ukraine ?


- Les tribunaux nationaux russes ou ukrainiens : Y aurait-il une véritable volonté politique de poursuivre les criminels ? La justice rendue serait-elle impartiale ?

- La Cour pénale internationale

La C.P.I pourrait-elle juger les dirigeants russes ? Elle a, en principe, les compétences nécessaires mais ni la Russie ni l'Ukraine se sont des États parties de la C.P.I.

Pour le crime d'agression, la Cour pénale internationale ne peut guère activer cette compétence pour les États n'ayant pas ratifié cette extension de la compétence, sauf si le Conseil de sécurité déférait la situation au procureur mais la Russie exercerait alors son droit de veto.

Pour les crimes de guerre et contre l'Humanité : il n'y a pas d'immunité des dirigeants mais il serait difficile de leur imputer ces crimes car ils sont éloignés des lieux de commission. Cependant, il serait possible de poursuivre les chefs militaires intermédiaires.

Le crime de génocide est très difficile à activer : y-a-t-il des actes visant à détruire, en tout ou partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux ?


- Et si on créait un tribunal « ad hoc » ?

Qui peut créer un tribunal « ad hoc » (c'est à dire dont les seules compétences seraient, par exemple, le jugement des crimes commis en Ukraine depuis 2014) ?

- le Conseil de sécurité des N.U ? (Chapitre VII de la Charte) : probable veto de la Russie !

- l'Assemblée générale des N.U ? (Résolution 377 3/11/1950) à la majorité des 2/3 : le fondement juridique est fragile car, d'après la Charte de l'O.N.U., seul le Conseil de sécurité est compétent en matière de sécurité.

- le Conseil de l'Europe ? L'Ukraine en fait partie mais plus la Russie.

- l'Union européenne ? Ni l'Ukraine, ni la Russie ne sont membres.

- un accord entre l'O.N.U. et quelques États ? Lesquels ?


Quelques pas vers la justice


Le 27 février 2022, l’Ukraine a lancé une action contre la Russie devant la Cour internationale de justice (qui juge uniquement les différends entre Etats). Le 16 mars 2022, la C.I.J ordonne à la Fédération de Russie de "suspendre immédiatement ses opérations militaires en Ukraine".

Le 19 janvier 2023, le Parlement européen appelle à la création d'un tribunal pénal « ad hoc » pour juger les dirigeants politiques et militaires russes pour qu'ils soient tenus responsables du crime d'agression contre l'Ukraine : 472 voix pour, 19 contre et 33 abstentions.

Le 17 mars 2023, la C.P.I a délivré des mandats d'arrêt à l’encontre de deux personnes dans le cadre de la situation en Ukraine : Vladimir Vladimirovitch Poutine, Président de la Fédération de Russie, et Maria Alekseïevna Lvova-Belova, Commissaire aux droits de l'enfant au sein du Cabinet du Président. La Chambre préliminaire a confirmé qu’il existait des motifs raisonnables de croire que la responsabilité pénale du Président Poutine et de Mme Lvova‑Belova était engagée concernant la déportation illégale et le transfert d’enfants ukrainiens de zones occupées en Ukraine vers la Fédération de Russie.


Poutine peut-il être jugé ?


Les verrous actuels empêchant de le juger : Le veto russe au Conseil de sécurité ; La non-ratification par la Russie du statut de Rome créant la CPI ; La condamnation par contumace n'est pas prévue par la C.P.I.


Les voies de contournement possibles : Une résolution de l'Assemblée générale de l'O.N.U. créant un tribunal « ad hoc » ; Un accord international créant un tribunal « ad hoc »; Un rebondissement de l'histoire : un changement de régime à Moscou !

Mais il y a un préalable : L'arrestation de Vladimir Poutine ! Le président russe évitera probablement de se rendre dans un pays membre de la C.P.I qui devrait (!) alors procéder à son interpellation.


Donc, ce n'est pas demain que nous verrons Poutine devant la justice mais l'histoire est riche de rebondissements: pensait-on en 1940 pouvoir juger en 1945 les principaux dignitaires nazis encore vivants ?


Résumé de la conférence de Frédéric Bourquin du 8 juin 2023










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