Tribune: Ukraine
« Celui qui soutient sa folie par le meurtre, est un fanatique. »
Voltaire, écrivain, philosophe, poète (1694 - 1778)
Ecrire une tribune qui sera publiée dans quelques jours est toujours un exercice périlleux, encore plus ces derniers temps. Qui sait où nous en serons dans une semaine ? Qui de Poutine, Zelensky, Macron, Biden, de Von der Leyen ou de Scholz sera au pouvoir dans une semaine, un mois, un an ?
Mais quelques faits sont d’ores et déjà acquis.
Des dogmes qui paraissaient intangibles tombent en quelques heures devant la folie guerrière. 70 ans de politique allemande de retenue vis-à-vis de la Bundeswehr a volé en éclat devant la situation de guerre en Europe. Des pays historiquement « neutres » comme la Suède, la Finlande, ou la Suisse ont pris position en faveur de l’Ukraine très rapidement en opposition avec leurs attitudes habituelles… L’OTAN, organisation défensive s’est réveillée avec rapidité. Et de plus en plus de pays songent à y adhérer.
La règle selon laquelle l’UE n’évolue que durant les crises se justifie encore une fois encore. Elle a montré très rapidement un front uni vis-à-vis de la Russie, sur les plans économique, militaire et même diplomatique.
Personne n’aurait parié un kopeck sur une position unanime des 27 il y a quelques jours encore. La solidarité européenne vis-à-vis des personnes déplacées fonctionne en tout cas pour le moment.
Enfin, l’U.E. en tant que telle achète des armes pour les fournir à l’Ukraine. Les coûts seront couverts par notre Facilité européenne pour la paix et notre fonds intergouvernemental. "C’est la première fois dans l’histoire que nous allons le faire", a précisé Josep Borrell, le Haut Représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, qui exerce également la fonction de Vice-président de la Commission européenne.
La Facilité européenne pour la paix, un des instruments les plus récents de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC), offre, comme l’a souligné Josep Borrell, un cadre pour financer les coûts communs des missions et des opérations militaires. Face à la crise actuelle, les prises de position de Mme Von der Leyen et de M. Borrell sont significatives d’un changement de paradigme. Depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, la P.S.D.C. a fortement évolué, tant sur le plan politique qu’institutionnel ces derniers mois. À ce titre, on peut, au-delà de la facilité, citer : une structure permanente de commandement et de contrôle pour la planification et la conduite opérationnelle des missions militaires à mandat non exécutif; un mécanisme de recensement des capacités de défense; un Fonds européen de la défense (F.E.D.); une amélioration de la mobilité militaire; un réexamen stratégique de la dimension civile de la P.S.D.C… ; une politique en matière de cybersécurité plus solide et une coopération renforcée avec l’O.T.A.N.
De plus, ces évolutions se sont accompagnées d’une première réorientation de la doctrine européenne en matière de relations internationales. Ainsi, a été présentée les 15 et 16 novembre 2021 aux ministres européens des Affaires étrangères et de la Défense une première version de la boussole stratégique.
Ce document, rédigé par le Service Européen d’Action Extérieure (S.E.A.E.) sous la responsabilité du Haut Représentant, est une feuille de route établissant une stratégie européenne jusqu’en 2030 en matière de sécurité et de défense. Le chef de la diplomatie européenne, avait, d’ailleurs, à cette occasion, fait des constats sans appel : “Notre analyse des menaces globales montre clairement que l’Europe est en danger”. Il avait raison à l’évidence.
L’agression la semaine dernière de la république d’Ukraine par la Russie de Vladimir Poutine est un détonateur qui pourrait nous mener jusqu'à un holocauste atomique. POURQUOI ? Que veut réellement le dictateur du Kremlin ?
Recréer l’empire russe ? Mettre la main sur les terres agricoles de l’Ukraine ? Empêcher l’UE et l’OTAN d’arriver à quelques centaines de kilomètres de Moscou ? Museler son opinion publique intérieure ? Ecarter une contagion démocratique chez un peuple proche ?...
Ce qui est évident, ce n’est qu’aucune des raisons officielles invoquées par Moscou pour envahir l’Ukraine (Nazis au pouvoir à Kiev, génocide dans le Donbass…) ne sont réelles, cela n’étonne malheureusement personne. Quant au danger du contact direct O.T.A.N./Russie, c’est une contre vérité. En fait l’O.T.A.N. est déjà au contact de la Russie sur plusieurs centaines de kilomètres de frontières en Lettonie, Estonie, Lituanie et Pologne.
Ces quelques faits ne doivent pas cacher une évolution majeure en cours de notre monde dont les conséquences ne sont qu’entrevues à ce jour. A quoi cela va-t-il amener ? Personne ne le sait, mais beaucoup de « lignes » vont changer.
En tout cas, Poutine a mal évalué les conséquences politiques de son agression sur l’U.E. Accusée à juste titre de « nanisme » politique l’U.E. grandit vite, très vite. Où cela nous amènera-t-il ? L’U.E. est- elle en train de basculer vers un état fédéral aujourd’hui intégrant enfin une défense et une diplomatie commune ? Beaucoup l’espèrent. Moi le premier.
Charles-Antoine ROUSSY, président de la Maison de l’Europe, le 02 mars 2022
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